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le sphinx des glaces

de la vie, les terribles scènes auxquelles il avait pris part, — incidents, comme le dit Arthur Pym, « si complètement en dehors du registre de l’expérience et dépassant les bornes de la crédulité des hommes ». Oui ! cette rude lime des épreuves avait profondément usé le moral de Dirk Peters ! N’importe ! c’était bien le fidèle compagnon auquel Arthur Pym avait souvent dû son salut, ce Dirk Peters qui l’aimait comme son fils, et qui n’avait jamais perdu, non ! jamais, l’espoir de le retrouver quelque jour au milieu des affreuses solitudes de l’Antarctide !

Maintenant, pourquoi Dirk Peters se cachait-il aux Falklands sous le nom de Hunt, pourquoi, depuis son embarquement sur l’Halbrane, avait-il tenu à conserver cet incognito, pourquoi n’avoir pas dit qui il était, puisqu’il connaissait les intentions du capitaine Len Guy, dont tous les efforts allaient tendre à sauver ses compatriotes en suivant l’itinéraire de la Jane ?…

Pourquoi ?… Sans doute parce qu’il craignait que son nom fût un objet d’horreur !… En effet, n’était-ce pas celui de l’homme qui avait été mêlé aux épouvantables scènes du Grampus… qui avait frappé le matelot Parker… qui s’était nourri de sa chair, désaltéré de son sang !… Pour qu’il eût révélé son nom, il fallait qu’il espérât que, grâce à cette révélation, l’Halbrane tenterait de retrouver Arthur Pym !…

Ainsi, après avoir vécu quelques années dans l’Illinois, si le métis était venu s’installer aux Falklands, c’était avec l’intention de saisir la première occasion qui s’offrirait à lui de retourner dans les mers antarctiques. En embarquant sur l’Halbrane, il comptait décider le capitaine Len Guy, lorsqu’il aurait recueilli ses compatriotes sur l’île Tsalal, à s’élever vers de plus hautes latitudes, à prolonger l’expédition au profit d’Arthur Pym ?… Et pourtant, que cet infortuné, après onze ans, fût de ce monde, quel homme de bon sens eût voulu l’admettre ?… Au moins, l’existence du capitaine William Guy et de ses compagnons était-elle assurée par les ressources de l’île Tsalal, et, d’ailleurs, les notes de Patterson affirmaient qu’ils s’y trouvaient