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le long de la banquise.

Voici ce qu’il convient de retenir, si l’on veut se faire une idée très exacte des différences qui existent entre la banquise et la barrière de glace.

Cette dernière, je l’ai noté déjà, ne se forme point en pleine mer. Il est indispensable qu’elle repose sur une base solide, soit pour dresser ses plans verticaux le long d’un littoral, soit pour développer ses cimes montagneuses en arrière-plan. Mais si ladite barrière ne peut abandonner le noyau fixe qui la supporte, c’est elle, d’après les navigateurs les plus compétents, qui fournit ce contingent d’ice-bergs et d’ice-fields, de drifts et de packs, de floes et de brashs, dont nous apercevions au large le cheminement interminable. Les côtes qui la soutiennent sont soumises à l’influence des courants descendus des mers plus chaudes. À l’époque des marées de syzygies, dont la hauteur est parfois considérable, l’assiette de la barrière se mine, s’effrite, se ronge, et d’énormes blocs, — des centaines en quelques heures, — se détachent avec un fracas assourdissant, tombent dans la mer, plongent au milieu de remous formidables et remontent à la surface. Alors, les voilà devenus montagnes de glace, dont il émerge un tiers seulement, et qui flottent jusqu’au moment où l’influence climatérique des basses latitudes achève de les dissoudre.

Et, un jour que je m’entretenais à ce sujet avec le capitaine Len Guy :

« Cette explication est juste, me répondit-il, et c’est pour cela que la barrière de glace oppose un infranchissable obstacle au navigateur, puisqu’elle a pour base un littoral. Mais il n’en est pas ainsi de la banquise. C’est en avant des terres, sur l’Océan même que celle-ci s’édifie par l’amalgame continu de débris en dérive. Soumise également aux assauts de la houle, au rongement des eaux plus chaudes pendant l’été, elle se disloque, des passes s’entrouvrent, et nombre de bâtiments ont déjà pu la prendre à revers…

— Il est vrai, ai-je ajouté, elle n’offre pas une masse indéfiniment continue qu’il serait impossible de contourner…