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le long de la banquise.

ni les Bellingshausen. Nous étions à deux degrés moins haut seulement que James Weddell.

La navigation de la goélette devint donc plus délicate au milieu de ces débris ternes et blafards, souillés de fientes d’oiseaux. Quelques-uns avaient une apparence lépreuse. Relativement à leur volume considérable déjà, combien paraissait petit notre navire dont certains ice-bergs dominaient la mâture !

En ce qui concerne ces masses, la variété des grandeurs se doublait de celle des formes, différenciées à l’infini. L’effet était merveilleux, lorsque ces enchevêtrements, dégagés des brumes, réverbéraient, comme d’énormes cabochons, les rayons solaires. Parfois, les strates se dessinaient en couleurs rougeâtres, sur l’origine desquelles on n’est pas exactement fixé, puis se coloraient des nuances du violet et du bleu, probablement dues à des effets de réfraction.

Je ne me lassais pas d’admirer ce spectacle, si remarquablement décrit dans le récit d’Arthur Pym, — ici des pyramides à pointes aiguës, là des dômes arrondis comme ceux d’une église byzantine, ou renflés comme ceux d’une église russe, des mamelles qui se dressaient, des dolmens à tables horizontales, des kromlechs, des menhirs debout comme au champ de Karnac, des vases brisés, des coupes renversées, — enfin tout ce que l’œil imaginatif se plaît parfois à retrouver dans la capricieuse disposition des nuages… Et les nuages ne sont-ils pas les glaces errantes de la mer céleste ?…

Je dois reconnaître que le capitaine Len Guy joignait à beaucoup de hardiesse beaucoup de prudence. Jamais il ne passait sous le vent d’un ice-berg, si la distance ne lui garantissait pas le succès de n’importe quelle manœuvre qui deviendrait soudain nécessaire. Familiarisé avec tous les aléas de cette navigation, il ne craignait pas de s’aventurer au milieu de ces flottilles de drifts et de packs.

Ce jour-là, il me dit :

« Monsieur Jeorling, ce n’est pas la première fois que j’ai voulu pénétrer dans la mer polaire, et sans y réussir. Eh bien, si je tentais