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entre le cercle polaire et la banquise.

Il est vrai, cet état mental n’était pas le mien, et, quoique je fusse très surexcité depuis quelque temps, je parvenais à me maintenir dans les limites du réel. Je ne formais plus qu’un seul vœu : c’était que la mer et le vent restassent aussi propices au-delà qu’en deçà du cercle antarctique.

En ce qui concerne le capitaine Len Guy, le lieutenant, les anciens matelots de l’équipage, une évidente satisfaction se peignit sur leurs traits rudes, leurs figures bronzées par le hâle, lorsqu’ils apprirent que le soixante-dixième parallèle venait d’être franchi par la goélette. Le lendemain, d’un ton guilleret, la face épanouie, Hurliguerly m’accosta sur le pont.

« Hé ! hé ! monsieur Jeorling, s’exclama-t-il, le voilà derrière nous, le fameux cercle…

— Pas assez, bosseman, pas assez !

— Ça viendra… Ça viendra !… Mais j’ai un désappointement…

— Lequel ?…

— C’est que nous ne fassions pas ce qui se fait à bord des navires au passage de la ligne !

— Vous le regrettez ?… demandai-je.

— Sans doute, et l’Halbrane aurait pu s’accorder la cérémonie d’un baptême austral !…

— D’un baptême ?… Et qui auriez-vous baptisé, bosseman, puisque nos hommes, tout comme vous, ont déjà navigué au-delà de ce parallèle ?…

— Nous… oui !… Vous… non, monsieur Jeorling !… Et pourquoi, s’il vous plaît, cette cérémonie ne se serait-elle pas faite en votre honneur ?…

— Il est vrai, bosseman, c’est la première fois, au cours de mes voyages, que je me serai élevé si haut en latitude…

— Ce qui eût mérité un baptême, monsieur Jeorling… Oh ! sans grand fracas… sans tambour ni trompette… et sans faire intervenir le Père Antarctique avec sa mascarade habituelle !… Si vous vouliez me permettre de vous bénir…