Page:Verne - Le Sphinx des Glaces, 1897.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.
100
le sphinx des glaces

Aussi m’étonnais-je que le capitaine Len Guy ne m’eût pas de nouveau interpellé à ce sujet. Il est évident que les renseignements si formels déchiffrés sur le carnet de Patterson n’avaient point été fabriqués pour la circonstance, et j’aurais eu mauvaise grâce à ne pas reconnaître mon erreur.

Au surplus, si quelque hésitation me fut demeurée, un autre et irrécusable témoignage vint s’ajouter aux dires du second de la Jane.

Le lendemain du mouillage, j’avais débarqué à Ansiedlung, sur une belle plage de sable noirâtre. Je fis même cette réflexion qu’une telle plage n’eût point été déplacée à l’île Tsalal, où se rencontrait cette couleur de deuil, à l’exclusion de la couleur blanche qui causait aux insulaires de si violentes convulsions, suivies de prostration et de stupeur. Mais, en donnant pour certains ces effets extraordinaires, peut-être Arthur Pym avait-il été le jouet de quelque illusion ?… D’ailleurs, on saurait à quoi s’en tenir, si l’Halbrane arrivait jamais en vue de l’île Tsalal…

Je rencontrai l’ex-caporal Glass, — un homme vigoureux, bien conservé, de physionomie assez rusée, je dois en convenir, et dont les soixante ans n’avaient point amoindri l’intelligente vivacité. Indépendamment du commerce avec le Cap et les Falklands, il faisait un important trafic de peaux de phoques, d’huile d’éléphants marins, et ses affaires prospéraient.

Comme il paraissait très désireux de bavarder, ce gouverneur nommé par lui-même et reconnu par la petite colonie, j’entamai sans peine, dès notre première entrevue, une conversation qui devait être intéressante par plus d’un côté.

« Avez-vous souvent des navires en relâche à Tristan d’Acunha ? lui demandai-je.

— Tout autant qu’il nous en faut, monsieur, me répondit-il en se frottant les mains derrière le dos, — une habitude invétérée, paraît-il.

— Dans la belle saison ?… ajoutai-je.