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LE SECRET DE WILHELM STORITZ.

Ce jour-là, à l’hôtel, quels que fussent les soucis cachés de M. Roderich, sa femme et sa fille ne s’occupaient que de la soirée de contrat qui allait être donnée le soir même. Elles avaient voulu « faire bien les choses », pour employer une manière de parler toute française. Le docteur, qui ne comptait que des amis dans la société ragzienne, avait lancé des invitations en assez grand nombre. Ici, comme sur un terrain neutre, l’aristocratie magyare se rencontrerait avec l’armée, la magistrature et les fonctionnaires. Le Gouverneur de Ragz avait accepté l’invitation du docteur, auquel l’unissait une amitié personnelle déjà ancienne.

Les salons de l’hôtel suffiraient largement à contenir les cent cinquante invités qui devaient s’y réunir ce soir-là. Quant, au souper, il serait servi dans la galerie à la fin de la soirée.

Personne ne songera à s’étonner que la question de toilette eût occupé Myra Roderich dans une juste mesure, ni que Marc eût voulu y apporter son goût d’artiste, ce qu’il avait déjà fait à propos du portrait de sa fiancée. D’ailleurs, Myra était magyare, et le Magyar, quel que soit son sexe, a le grand souci de l’habillement. C’est dans le sang, comme l’amour de la danse, amour qui va jusqu’à la passion. Aussi, ce que j’ai dit de Myra s’appliquant à toutes les dames et à tous les hommes, cette soirée promettait d’être très brillante.

L’après-midi, les préparatifs furent achevés. Je restai toute cette journée chez le docteur, en attendant l’heure d’aller procéder, moi aussi, à ma toilette, comme un vrai Magyar.

À un instant où j’étais accoudé à l’une des fenêtres donnant sur le quai Batthyani, j’eus l’extrême déplaisir d’apercevoir Wilhelm Storitz. Était-ce le hasard qui l’amenait là ? Non, sans doute. Il suivait le quai le long du fleuve, la tête baissée, lentement. Mais, lorsqu’il fut à la hauteur de l’hôtel, il se redressa, et quel regard s’échappa de ses yeux ! Il passa à plusieurs reprises, et Mme Roderich ne fut pas sans le remarquer. Elle le