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LE SECRET DE WILHELM STORITZ.

tout neuf, et un jour viendrait où ses veines ne contiendraient plus aucune trace de la substance maudite qui privait Marc du bonheur de la voir.

J’écrivis aussitôt à mon frère dans ce sens. Mais, au moment où ma lettre allait partir, j’en reçus une de lui, et je jugeai préférable de retarder l’envoi de la mienne. Dans sa lettre, mon frère m’annonçait, en effet, une nouvelle qui rendait, au moins pour l’instant, mes spéculations inutiles. Myra allait, me disait-il, le rendre père. Ce n’était pas le moment, on en conviendra, de la priver de la moindre goutte de son sang. Elle n’avait pas trop de toutes ses forces pour supporter la redoutable épreuve de la maternité.

La naissance de mon neveu — ou de ma nièce — m’était annoncée pour les derniers jours du mois de mai. L’affection que j’ai pour mon frère étant connue du lecteur, il est inutile de dire que je fus exact au rendez-vous. Dès le 15 mai, j’étais à Ragz, où j’attendis l’événement avec une impatience qui ne le cédait pas à celle du père.

Ce fut le 27 mai qu’il se produisit, et cette date ne sortira jamais de ma mémoire. On dit qu’il n’y a plus de miracle ; il y en eut un cependant ce jour-là, un miracle dont je puis garantir personnellement l’authenticité. Ce que fut ce miracle, on le devine. La nature nous apporta le secours que je voulais demander à l’art, et Myra, comme Lazare, sortit vivante du tombeau. Marc, ébloui, affolé, enivré, la vit lentement surgir de l’ombre, et, doublement père, il vit naître en même temps son enfant et sa femme, qui lui parut plus belle encore d’avoir été si longtemps cachée à ses yeux.

Depuis, mon frère et Myra n’ont pas plus d’histoire que moi-même. Pendant que je m’épuise la cervelle à chercher la perfection, mathématique idéale — et inaccessible, puisque les, mathématiques sont, comme l’univers, infinies ! — Marc poursuit sa carrière glorieuse de peintre célèbre. Il habite Paris, à deux