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LE PILOTE DU DANUBE.

sens contraire, et, refoulant le courant assez rapide, vint s’accrocher au large safran du gouvernail. Il écouta. Presque étouffé par le frissonnement soyeux de l’eau courant sur les flancs de la gabarre, un air de danse parvint jusqu’à lui. Au-dessus de sa tête, quelqu’un chantonnait à mi-voix. Cramponné des pieds et des mains à la surface gluante du bois, Serge Ladko s’éleva d’un lent effort jusqu’à la partie supérieure du safran et reconnut Yacoub Ogul.

À bord, tout était tranquille. Aucun bruit ne sortait du rouf, dans lequel Ivan Striga s’était sans doute retiré. Des hommes de l’équipage, cinq devisaient paisiblement, étendus sur le pont vers l’avant. Leurs voix se fondaient en un murmure confus. Seul, Yacoub Ogul se trouvait à l’arrière. Monté au-dessus du rouf, il s’était assis sur la barre du gouvernail et se laissait bercer par la paix nocturne, en murmurant une chanson familière.

La chanson s’éteignit tout à coup. Deux mains de fer broyaient la gorge du chanteur, qui, basculant par-dessus le couronnement, vint tomber en travers du safran. Était-il mort ? Jambes et bras ballants, son corps inerte pendait comme un linge de part et d’autre de cette arête étroite. Serge Ladko desserra son étreinte et saisit l’homme par la ceinture, puis diminuant graduellement la pression de ses genoux contre le safran, il se laissa glisser peu à peu et s’enfonça silencieusement dans l’eau.