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où l’île se fait îlot

autour contre les petites lames, mais il était bien évident qu’une houle un peu forte passerait par-dessus cette insuffisante barrière. Au milieu du radeau, le maître charpentier avait construit un véritable rouffle, qui pouvait contenir une vingtaine de personnes. Autour étaient établis de grands coffres destinés aux provisions et des pièces à eau, le tout solidement fixé à la plate-forme au moyen de chevilles de fer. Le mât, haut d’une trentaine de pieds, s’appuyait au rouffle et était soutenu par des haubans qui se rattachaient aux quatre angles de l’appareil. Ce mât devait porter une voile carrée, qui ne pouvait évidemment servir que vent arrière. Toute autre allure était nécessairement interdite à cet appareil flottant, auquel une sorte de gouvernail, très insuffisant sans doute, avait été adapté.

Tel était le radeau du maître charpentier, sur lequel devaient se réfugier vingt personnes, sans compter le petit enfant de Mac Nap. Il flottait tranquillement sur les eaux du lagon, retenu au rivage par une forte amarre. Certes, il avait été construit avec plus de soin que n’en peuvent mettre des naufragés surpris en mer par la destruction soudaine de leur navire, il était plus solide et mieux aménagé, mais enfin ce n’était qu’un radeau.

Le 1er juin, un nouvel incident se produisit. Le soldat Hope était allé puiser de l’eau au lagon pour les besoins de la cuisine. Mrs. Joliffe, goûtant cette eau, la trouva salée. Elle rappela Hope, lui disant qu’elle avait demandé de l’eau douce, et non de l’eau de mer.

Hope répondit qu’il avait puisé cette eau au lagon. De là une sorte de discussion, au milieu de laquelle intervint le lieutenant. En entendant les affirmations du soldat Hope, il pâlit, puis il se dirigea rapidement vers le lagon…

Les eaux en étaient absolument salées ! Il était évident que le fond du lagon s’était crevé, et que la mer y avait fait irruption.

Ce fait aussitôt connu, une même crainte bouleversa les esprits tout d’abord.

« Plus d’eau douce ! » s’écrièrent ces pauvres gens.

Et en effet, après la rivière Paulina, le lac Barnett venait de disparaître à son tour !

Mais le lieutenant Hobson se hâta de rassurer ses compagnons à l’endroit de l’eau potable.

« Nous ne manquons pas de glace, mes amis, dit-il. Ne craignez rien. Il suffira de faire fondre quelques morceaux de notre île, et j’aime à croire que nous ne la boirons pas tout entière », ajouta-t-il en essayant de sourire.