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le pays des fourrures.

sol fragile qui s’effondrera, qui peut s’effondrer à tout instant sous nos pieds. Tiens, Madge, vois comme en cet endroit la mer s’avance à l’intérieur de l’île ! Elle couvre déjà toute une partie de cette plaine, que ses eaux, relativement chaudes encore, rongeront à la fois et en dessus et en dessous ! Avant peu, si le froid ne l’arrête, cette mer aura rejoint le lagon, et nous perdrons notre lac, après avoir perdu notre port et notre rivière !

— Mais si cela arrivait, dit Madge, ce serait véritablement un irréparable malheur !

— Et pourquoi cela, Madge ? demanda Mrs. Paulina Barnett, en regardant sa compagne.

— Mais parce que nous serions absolument privés d’eau douce ! répondit Madge.

— Oh ! l’eau douce ne nous manquera pas, ma bonne Madge ! La pluie, la neige, la glace, les icebergs de l’Océan, le sol même de l’île qui nous emporte, tout cela, c’est de l’eau douce ! Non ! je te le répète ! non ! Le danger n’est pas là ! »

Vers dix heures, Mrs. Paulina Barnett et Madge se trouvaient à la hauteur du cap Esquimau, mais à deux milles au moins à l’intérieur de l’île, car il avait été impossible de suivre le littoral, profondément rongé par la mer. Les deux femmes, un peu fatiguées d’une promenade allongée par tant de détours, résolurent de se reposer pendant quelques instants avant de reprendre la route du fort Espérance. En cet endroit s’élevait un petit taillis de bouleaux et d’arbousiers qui couronnait une colline peu élevée. Un monticule, garni d’une mousse jaunâtre, et que son exposition directe aux rayons du soleil avait dégagé de neige, leur offrait un endroit propice pour une halte.

Mrs. Paulina Barnett et Madge s’assirent l’une à côté de l’autre, au pied d’un bouquet d’arbres, le bissac fut ouvert, et elles partagèrent en sœurs leur frugal repas. Une demi-heure plus tard, Mrs. Paulina Barnett, avant de reprendre vers l’est le chemin de la factorerie, proposa à sa compagne de remonter jusqu’au littoral afin de reconnaître l’état actuel du cap Esquimau. Elle désirait savoir si cette pointe avancée avait résisté ou non aux assauts de la tempête. Madge se déclara prête à accompagner sa fille partout où il lui plairait d’aller, lui rappelant toutefois qu’une distance de huit à neuf milles les séparait alors du cap Bathurst, et qu’il ne fallait pas inquiéter le lieutenant Hobson par une trop longue absence.

Cependant, Mrs. Paulina Barnett, mue par quelque pressentiment sans doute, persista dans son idée, et elle fit bien, comme on le verra par la