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le pays des fourrures.

Or — le lieutenant l’avait dit à Mrs. Paulina Barnett, — les pêcheries ne sont pas rares sur cette partie de l’Amérique septentrionale qui s’appelle la Nouvelle-Géorgie. Cette côte compte aussi de nombreux établissements, dans lesquels les indigènes recueillent des dents de mammouths, car ces parages recèlent en grand nombre des squelettes de ces grands antédiluviens, réduits à l’état fossile. À quelques degrés plus bas, s’élève New-Arkhangel, centre de l’administration qui s’étend sur tout l’archipel des îles Aléoutiennes, et chef-lieu de l’Amérique russe. Mais les chasseurs fréquentent plus assidûment les rivages de la mer polaire, depuis surtout que la Compagnie de la baie d’Hudson a pris à bail les territoires de chasse que la Russie exploitait autrefois. Jasper Hobson, sans connaître ce pays, connaissait les habitudes des agents qui le visitaient à cette époque de l’année, et il était fondé à croire qu’il y rencontrerait des compatriotes, des collègues même, ou, à leur défaut, quelque parti de ces Indiens nomades qui courent le littoral.

Mais Jasper Hobson avait-il raison d’espérer que l’île Victoria eût été repoussée vers la côte ?

« Oui, cent fois oui ! répéta-t-il au sergent. Voilà sept jours que ce vent du nord-est souffle en ouragan. Je sais bien que l’île, très plate, lui donne peu de prise, mais, cependant, ses collines, ses futaies, tendues et là comme des voiles, doivent céder quelque peu à l’action du vent. En outre, la mer qui nous porte subit aussi cette influence, et il est bien certain que les grandes lames courent vers la côte. Il me paraît donc impossible que nous ne soyons pas sortis du courant qui nous entraînait dans l’ouest, impossible que nous n’ayons pas été rejetés au sud. Nous n’étions, à notre dernier relèvement, qu’à deux cents milles de la terre, et, depuis sept jours…

— Tous vos raisonnements sont justes, mon lieutenant, répondit le sergent Long. D’ailleurs, si nous avons l’aide du vent, nous avons aussi l’aide de Dieu, qui ne voudra pas que tant d’infortunés périssent, et c’est en lui que je mets tout mon espoir ! »

Jasper Hobson et le sergent parlaient ainsi en phrases coupées par les bruits de la tempête. Leurs regards cherchaient à percer cette ombre épaisse, que des lambeaux d’un brouillard échevelés par l’ouragan rendaient encore plus opaque. Mais pas un point lumineux n’étincelait dans cette obscurité.

Vers une heure et demie du matin, l’ouragan éprouva une accalmie de quelques minutes. Seule, la mer, effroyablement démontée, n’avait pu modérer ses mugissements. Les lames déferlaient les unes sur les autres avec une violence extrême.