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le pays des fourrures.

quelques tranches plus fraîches, attestaient des éboulements récents. Le sergent Long signala même deux ou trois petits glaçons détachés de la rive, qui achevaient de se dissoudre au large. On sentait que, dans ses mouvements de ressac, l’eau plus chaude rongeait plus facilement cette lisière nouvelle, que le temps n’avait pas encore revêtu, comme le reste du littoral, d’une sorte de mortier de neige et de sable. Aussi, cet état de choses était-il rien moins que rassurant.

Mrs. Paulina Barnett, le lieutenant Hobson et le sergent Long, avant de prendre du repos, voulurent achever l’examen de cette arête méridionale de l’île. Le soleil, suivant un arc très allongé, ne devait pas se coucher avant onze heures du soir, et par conséquent, le jour ne manquait pas. Le disque brillant se traînait avec lenteur sur l’horizon de l’ouest, et ses obliques rayons projetaient démesurément devant leurs pas les ombres des explorateurs. À de certains instants, la conversation de ceux-ci s’animait, puis, pendant de longs intervalles, ils restaient silencieux, interrogeant la mer, songeant à l’avenir.

L’intention de Jasper Hobson était de camper, pendant la nuit, à la baie Washburn. Rendu à ce point, il aurait fait environ dix-huit milles, c’est-à-dire, si ses hypothèses étaient justes, la moitié de son voyage circulaire. Puis, après quelques heures de repos, quand sa compagne serait remise de ses fatigues, il comptait reprendre, par le rivage occidental, la route du fort Espérance.

De là le lieutenant Hobson put observer la muraille.

Aucun incident ne marqua cette exploration du nouveau littoral, compris entre la baie des Morses et la baie Washburn. À sept heures du soir, Jasper Hobson était arrivé au lieu de campement dont il avait fait choix. De ce côté, même modification. De la baie Washburn, il ne restait plus que la courbe allongée, formée par la côte de l’île, et qui, autrefois, la délimitait au nord. Elle s’étendait sans altération jusqu’à ce cap qu’on avait nommé cap Michel, et sur une longueur de sept milles. Cette portion de l’île ne semblait avoir souffert aucunement de la rupture de l’isthme. Les taillis de pins et de bouleaux, qui se massaient un peu en arrière, étaient feuillus et verdoyants à cette époque de l’année. On voyait encore une assez grande quantité d’animaux à fourrures bondir à travers la plaine.

Mrs. Paulina Barnett et ses deux compagnons de route s’arrêtèrent en cet endroit. Si leurs regards étaient bornés au nord, du moins, dans le sud, pouvaient-ils embrasser une moitié de l’horizon. Le soleil traçait un arc tellement ouvert que ses rayons, arrêtés par le relief du sol plus accusé vers l’ouest, n’arrivaient plus jusqu’aux rivages de la baie Washburn. Mais ce n’était pas encore la nuit, pas même le crépuscule, puisque l’astre radieux n’avait pas disparu.