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maître zacharius.

tanément, et leur concordance réjouissait le cœur du vieillard ; mais, ce jour-là, tous ces timbres tintèrent les uns après les autres, si bien que pendant un quart d’heure l’oreille fut assourdie par leurs bruits successifs. Maître Zacharius souffrait affreusement ; il ne pouvait tenir en place, il allait de l’une à l’autre de ces horloges, et il leur battait la mesure, comme un chef d’orchestre qui ne serait plus maître de ses musiciens.

Lorsque le dernier son s’éteignit, la porte de l’atelier s’ouvrit, et maître Zacharius frissonna de la tête aux pieds en voyant devant lui le petit vieillard, qui le regarda fixement et lui dit :

« Maître, ne puis-je m’entretenir quelques instants avec vous ?

— Qui êtes-vous ? demanda brusquement l’horloger.

— Un confrère. C’est moi qui suis chargé de régler le soleil.

— Ah ! c’est vous qui réglez le soleil ? répliqua vivement maître Zacharius sans sourciller. Eh bien ! je ne vous en complimente guère ! Votre soleil va mal, et, pour nous trouver d’accord avec lui, nous sommes obligés tantôt d’avancer nos horloges et tantôt de les retarder !

— Et par le pied fourchu du diable ! s’écria le monstrueux personnage, vous avez raison, mon maître ! Mon soleil ne marque pas toujours midi au même moment que vos horloges ; mais, un jour, on saura que cela vient de l’inégalité du mouvement de translation de la terre, et l’on inventera un midi moyen qui réglera cette irrégularité !

— Vivrai-je encore à cette époque ? demanda le vieil horloger, dont les yeux s’animèrent.

— Sans doute, répliqua le petit vieillard en riant. Est-ce que vous pouvez croire que vous mourrez jamais ?

— Hélas ! je suis pourtant bien malade !

— Au fait, causons de cela. Par Belzébuth ! cela nous mènera à ce dont je veux vous parler. »

Et ce disant, cet être bizarre sauta sans façon sur le vieux fauteuil de cuir et ramena ses jambes l’une sous l’autre, à la façon de ces os décharnés que les peintres de tentures funéraires croisent sous les têtes de mort. Puis, il reprit d’un ton ironique :

« Voyons, ça, maître Zacharius, que se passe-t-il donc dans cette bonne ville de Genève ? On dit que votre santé s’altère, que vos montres ont besoin de médecins !

— Ah ! vous croyez, vous, qu’il y a un rapport intime entre leur existence et la mienne ! s’écria maître Zacharius.

— Moi, j’imagine que ces montres ont des défauts, des vices même. Si ces