Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/208

Cette page a été validée par deux contributeurs.
194
quarantième ascension française.

Ce garçon m’inspirait toute confiance. J’acceptai, et j’allai sans perdre de temps prévenir le guide-chef du choix que j’avais fait.

Mais, pendant ces pourparlers, M. Balmat avait commencé ses démarches près des guides en suivant leur tour de rôle. Un seul avait accepté, Édouard Simon. On attendait la réponse d’un autre, nommé Jean Carrier. Elle n’était pas douteuse, car cet homme avait déjà fait vingt-neuf fois l’ascension du mont Blanc. Je me trouvai donc fort embarrassé. Les guides que j’avais choisis étaient tous d’Argentière, commune située à six kilomètres de Chamonix. Aussi ceux de Chamonix accusaient-ils Ravanel de m’avoir influencé en faveur de sa famille, ce qui était contraire au règlement.

Pour couper court à la discussion, je pris pour troisième guide Édouard Simon, qui avait déjà fait ses préparatifs.

Il ne m’était pas utile si je montais seul, mais il devenait indispensable si mon ami m’accompagnait.

Ceci réglé, j’allai prévenir Donatien Levesque. Je le trouvai dormant du sommeil du juste qui a parcouru la veille quinze kilomètres dans la montagne. Le réveil offrit quelques difficultés ; mais en lui retirant d’abord ses draps, puis ses oreillers et enfin ses matelas, j’obtins quelque résultat, et je parvins à lui faire comprendre que je me préparais au grand voyage.

« Eh bien ! me dit-il en bâillant, je vous accompagnerai jusqu’aux Grands-Mulets, et, là, j’attendrai votre retour.

— Bravo ! lui répondis-je, j’ai justement un guide de trop, je l’attacherai à votre personne. »

Nous achetâmes les objets indispensables aux courses sur les glaciers. Bâtons ferrés, jambières en gros drap, lunettes vertes s’appliquant hermétiquement sur les yeux, gants fourrés, voiles verts et passe-montagnes, rien ne fut oublié. Nous avions chacun d’excellents souliers à triple semelle, que nos guides firent ferrer à glace. Ce dernier détail est d’une importance considérable, car il est des moments dans une pareille expédition où toute glissade serait mortelle, non-seulement pour soi, mais pour toute la caravane.

Nos préparatifs et ceux de nos guides prirent environ deux heures. Vers huit heures, on nous amena nos mulets, et nous partons enfin pour le chalet de la Pierre-Pointue, situé à 2,000 mètres d’altitude, soit 1,000 mètres au-dessus de la vallée de Chamonix, et 2,800 mètres plus bas que le sommet du mont Blanc.

En arrivant à la Pierre-Pointue, vers dix heures, nous y trouvons un voyageur espagnol, M. N…, accompagné de deux guides et d’un porteur. Son guide