Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Que demandez-vous ? me dit-il.

— Bon accueil pour mes compagnons et moi.

— Qui êtes-vous ?

— Des Français chassés de l’Allemagne, et qui ne savent plus où se réfugier.

— Entrez ! »

Ce paysan se nommait Hans Stenger. Il habitait cette maison avec sa belle-mère et sa femme. S’il n’avait pas quitté la Croix-aux-Bois, c’est que sa belle-mère ne pouvait se lever du fauteuil où la paralysie la retenait depuis bien des années.

Et alors Hans Stenger nous apprit pourquoi le village était abandonné. Tous les défilés de l’Argonne avaient été occupés par les troupes françaises. Seul, celui de la Croix-aux-Bois était ouvert. Aussi, s’attendait-on à ce que les Impériaux viendraient s’en emparer, ce qui présageait de grands désastres. On le voit, notre mauvaise fortune nous avait conduits là où il ne fallait pas aller. Quant à sortir de la Croix-aux-Bois, à nous jeter de nouveau à travers les taillis de l’Argonne, l’état de Mme Keller ne le permettait plus. Il était encore heureux que nous fussions tombés chez d’aussi honnêtes Français que ces Stenger.

C’étaient des paysans assez à leur aise. Ils parurent heureux de pouvoir rendre service à des compatriotes dans l’embarras. Il va sans dire que nous n’avions pas fait connaître la nationalité de Jean Keller, ce qui eût compliqué la situation.

Cependant la journée du 15 septembre se termina sans alertes. Celle du 16 ne justifia pas non plus les craintes que Hans Stenger nous avait fait concevoir. Même pendant la nuit, nous n’avions entendu aucune détonation sur le revers de l’Argonne. Peut-être les coalisés ignoraient-ils que le défilé de la Croix-aux-Bois fût libre. En tout cas, comme son étroitesse eût mis obstacle à la marche d’une colonne avec ses caissons et ses équipages, ils devaient plutôt tendre à forcer les passages du Grand-Pré ou des Islettes. Nous avions donc repris espoir. D’ailleurs, le repos et les soins apportaient