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Nous sommes en France, après tout, et pas une porte ne refusera de s’ouvrir !… »

Mme Keller ne se rendait pas. Après s’être relevée, elle essaya de faire quelques pas, et fût tombée, si son fils et ma sœur n’eussent été près d’elle pour la soutenir.

« Mme Keller, lui dis-je alors, ce que nous voulons, c’est notre salut à tous. Pendant la nuit, des coups de feu ont éclaté sur la lisière de l’Argonne. L’ennemi n’est pas loin. J’ai l’espérance qu’il ne tentera rien de ce côté. À la Croix-aux-Bois, nous n’aurons pas à craindre d’être surpris, mais il faut y arriver aujourd’hui même. »

Mlle Marthe et ma sœur joignirent leurs instances aux nôtres, M. de Lauranay intervint. Mme Keller finit par céder.

Un instant après, elle était couchée sur la civière, que M. Jean soulevait par une extrémité, moi par l’autre. On se remit en marche, et le sentier de Briquenay fut traversé obliquement, dans la direction du nord.

N’insistons pas sur les difficultés de ce cheminement à travers d’épais taillis, la nécessité d’y chercher les passes praticables, les haltes fréquentes qu’il fallut faire. On s’en tira, et vers midi, ce 15 septembre, nous arrivions à la Croix-aux-Bois, après une lieue et demie, qui avait demandé cinq heures.

À mon grand étonnement comme à mon grand ennui, le village était abandonné. Tous les habitants l’avaient fui, soit vers Vouziers, soit vers le Chêne-Populeux. Que se passait-il donc ?

Nous errions dans les rues. Portes et fenêtres closes. Les secours sur lesquels je comptais allaient-ils nous faire défaut ?

« Une fumée », me dit ma sœur, en montrant l’extrémité du village.

Je courus vers la petite maison d’où s’échappait cette fumée. Je frappai à la porte.

Un homme parut. Il avait une bonne figure — une de ces figures de paysan lorrain qui inspirent la sympathie. Ce devait être un brave homme.