Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Où aller alors ?…

— Je vous proposerai d’appuyer sur la droite, à travers les taillis, pour gagner le village même de la Croix-aux-Bois.

— À quelle distance ?…

— Une lieue au plus.

— Allons à la Croix-aux-Bois, répondit M. Jean, demain, dès l’aube ! »

Franchement, je ne m’imaginais pas qu’il y eût rien de mieux à faire, dans la persuasion où j’étais que l’ennemi ne s’aventurerait pas au nord de l’Argonne.

Cependant cette nuit fut particulièrement troublée par le pétillement de la fusillade, et, de temps à autre, par le sourd ronflement du canon. Toutefois, comme ces détonations étaient encore éloignées, et se produisaient en arrière de nous, je supposais, avec quelque apparence de raison, que Clairfayt ou Brunswick cherchaient à forcer le défilé de Grand-Pré, le seul qui pût offrir une voie assez large au passage de leurs colonnes. M. Jean ni moi, ne pûmes prendre une heure de repos. Il fallut être constamment sur le qui-vive, bien que nous fussions blottis au plus épais du bois, en dehors du sentier de Briquenay.

On repartit au petit jour. J’avais coupé quelques branches dont nous fîmes une sorte de civière. Une brassée d’herbes sèches allait permettre à Mme Keller de s’y étendre, et, avec quelques précautions, nous parviendrions peut-être à lui épargner les duretés de la route.

Mais Mme Keller comprit quel surcroît de fatigue ce serait pour nous.

« Non, dit-elle, non, mon fils ! J’ai encore la force de marcher… J’irai à pied !

— Tu ne le peux pas, ma mère ! répondit M. Jean.

— En effet, madame Keller, ajoutai-je, vous ne le pouvez pas ! Notre dessein est de gagner le plus prochain village, et il importe de l’atteindre au plus vite. Là, nous attendrons que vous soyez rétablie.