Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs truies à la glandée. Dès qu’ils nous apercevaient, d’ailleurs, ils s’enfonçaient sous les halliers, et si nous en obtînmes une ou deux fois des renseignements, ce fut tout.

On entendait aussi des feux de files, qui indiquaient un combat d’avant-postes.

Cependant, nous gagnions du côté de Stenay, bien que les obstacles fussent si grands, les fatigues telles, que nous faisions à peine deux lieues par jour. Il en fut de même pendant le 9, le 10, et le 11 septembre. Mais si le territoire était difficile, il offrait toute sécurité. Nous ne fîmes aucune mauvaise rencontre. Il n’y avait pas à craindre d’entendre le terrible Ver dà !, le « qui vive ? » prussien.

Notre espoir, en prenant cette direction, avait été de rejoindre le corps de Dumouriez. Or, ce que nous ne pouvions savoir, c’est qu’il s’était déjà porté plus au sud, afin d’occuper le défilé de Grand-Pré dans la forêt de l’Argonne.

Entre temps, je le répète, des détonations arrivaient jusqu’à nous. Lorsqu’elles étaient trop rapprochées, nous faisions halte. Évidemment, aucune bataille n’était alors engagée sur les bords de la Meuse. C’étaient de simples attaques de bourgades ou de villages. On le devinait, car de longues fumées montaient parfois au-dessus des arbres, et de lointaines lueurs d’incendies éclairaient les bois pendant l’obscurité.

Enfin, dans la soirée du 11, notre résolution fut prise d’interrompre la marche vers Stenay, afin de nous jeter franchement dans l’Argonne.

Le lendemain, ce projet fut mis à exécution. On se traînait, tout en se soutenant les uns les autres. La vue de ces pauvres femmes si courageuses, maintenant l’apparence minable, la figure hâve et plombée, les vêtements en lambeaux, à force de passer à travers les houx et les broussailles, marchant comme à la queue leu leu, enfin réduites à rien par la continuité des fatigues, cela nous fendait l’âme.