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Ces bruits venaient généralement du sud — ce qui indiquait de ce côté un cantonnement de troupes.

Très probablement, il s’agissait là de colonnes autrichiennes, attendant le moment de se diriger vers Thionville ou même vers Montmédy, plus au nord. Ainsi qu’on l’a su depuis, l’intention des alliés n’avait jamais été d’enlever ces diverses places, mais de les masquer, de paralyser leurs garnisons, afin de se porter à travers le territoire des Ardennes.

Nous pouvions donc rencontrer quelque colonne de ces troupes, et nous aurions été vite ramassés. En vérité, de tomber entre des mains autrichiennes ou prussiennes, c’eût été jus vert et vert jus ! Les unes eussent été aussi rudes que les autres !

La résolution fut donc prise de remonter un peu plus au nord, du côté de Stenay ou même de Sedan, de manière à pénétrer dans l’Argonne, en évitant les routes très probablement suivies par les Impériaux.

Dès que le jour parut, on se remit en marche.

Le temps était beau. On entendait le sifflement des bouvreuils, puis, sur la limite des clairières, les cigales chantaient en signe de chaleur. Plus loin, les alouettes, jetant leur petit cri, montaient droit dans l’air.

Nous marchions aussi vite que le permettait la faiblesse de Mme Keller. Sous le feuillage épais des arbres, le soleil ne pouvait nous gêner. On se reposait toutes les deux heures. Ce qui m’inquiétait, c’est que nos provisions touchaient à leur fin. Et comment les remplacer ?

Ainsi qu’il avait été convenu, nous pointions un peu plus vers le nord, loin des villages et hameaux que l’ennemi devait certainement occuper.

La journée ne fut marquée par aucun incident. En somme, le trajet parcouru en droite ligne avait été médiocre. Dans l’après-midi, Mme Keller ne faisait plus que se traîner. Elle, que j’avais connue à Belzingen, droite comme un frêne, était courbée mainte-