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cheminaient un peu en arrière. Sauf nous, il n’y avait personne sur la route. Au loin, vers la gauche, de sourdes détonations se faisaient entendre. On se battait de ce côté, sans doute, sous les murs de Thionville.

Tout à coup, à droite, un coup de feu retentit. Notre cheval, frappé mortellement, s’abat entre les brancards qu’il brise. En même temps, des vociférations éclatent :

« Nous le tenons enfin !

— Oui ! C’est bien Jean Keller !

— À nous les mille florins !

— Pas encore ! » s’écria M. Jean.

Un second coup de feu éclata. Cette fois, c’était M. Jean qui l’avait tiré, et un homme roulait à terre près de notre cheval.

Tout cela s’était fait si rapidement que je n’avais pas eu le temps de m’y reconnaître.

« Ce sont les Buch ! me cria M. Jean.

— Eh bien… buchons-les ! » répondis-je.

Ces gredins, en effet, se trouvaient à l’auberge où nous avions passé la nuit. Après quelques mots échangés avec le cabaretier, ils s’étaient lancés sur notre piste.

Mais, de trois, ils n’étaient plus que deux maintenant, le père et le second de ses fils. L’autre, le cœur traversé d’une balle, venait d’expirer.

Et alors, deux contre deux, la partie serait égale. Elle ne fut pas longue, d’ailleurs. Je tirai à mon tour sur le fils Buch et ne fis que blesser ce gueux. Alors, son père et lui, voyant leur coup manqué, se jetèrent dans les taillis à gauche de la route et détalèrent à toutes jambes.

Je voulais me mettre à leur poursuite. M. Jean m’en empêcha. Peut-être eut-il tort ?

« Non, dit-il, le plus pressé est de passer la frontière. En route !… en route ! »

Comme nous n’avions plus de cheval, il fallut abandonner notre