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Cela éviterait de faire halte dans les villages, où Buch et ses fils pourraient ou auraient pu passer.

Voici donc ce qui fut délibéré avant de reprendre notre route, car avant tout, il fallait assurer l’enfant, comme nous disons au jeu de piquet.

Tant qu’il n’y aurait pas danger à le faire, nous étions décidés à ne plus nous séparer. Sans doute, ce qui devait être relativement facile pour M. de Lauranay et Mlle Marthe, pour ma sœur et pour moi, puisque nos passeports nous protégeaient jusqu’à la frontière française, serait plus difficile pour Mme Keller et son fils. Aussi, devraient-ils prendre la précaution de ne point entrer dans les villes par lesquelles il nous était imposé de passer. Ils s’arrêteraient en deçà, ils nous rejoindraient au-delà. De cette façon, peut-être ne serait-il pas impossible de faire route ensemble.

« Partons donc, répondis-je. Si je puis acheter une voiture et des chevaux à Tann, ce seront bien des fatigues épargnées à votre mère, à Mlle Marthe, à ma sœur, à M. de Lauranay ! Quant à nous, monsieur Jean, nous n’en sommes pas à cela près de quelques journées de marche et de quelques nuits à la belle étoile, et vous verrez comme elles sont belles, les étoiles qui brillent sur la terre de France ! »

Cela dit, je m’avançais d’une vingtaine de pas sur la route. Il était deux heures du matin. Une profonde obscurité enveloppait tout le pays. On sentait cependant les premières pâleurs de l’aube à la crête des montagnes.

Si je ne pouvais rien voir encore, je pouvais du moins entendre. J’écoutai avec une extrême attention. L’air était si calme que le bruit d’un pas sous la futaie ou sur la route n’aurait pu m’échapper…

Rien… Il fallait en conclure que Buch et ses fils avaient perdu la piste de Jean Keller.

Nous étions tous hors de la hutte. J’avais emporté ce qui restait de nos provisions, et croyez que cela ne faisait pas un ballot bien