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— Oui, Marthe !… Moi… et ma mère !… Enfin ! »

Mlle de Lauranay se jeta dans les bras de Mme Keller.

Il ne s’agissait pas de perdre son sang-froid ni de commettre quelque imprudence.

« Rentrons tous dans la hutte, dis-je. Il y va de votre tête, monsieur Jean !…

— Quoi !… vous savez, Natalis ?… me répondit-il.

— Ma sœur et moi… nous savons tout !

— Et toi, Marthe, et vous, monsieur de Lauranay ?… demanda Mme Keller.

— Qu’y a-t-il donc ? s’écria Mlle Marthe.

— Vous allez l’apprendre, répondis-je. Rentrons ! »

Un instant après, nous étions blottis au fond de la hutte. Si l’on ne se voyait pas, on s’entendait. Moi, placé près de la porte, tout écoutant, je ne cessais d’observer la route.

Et voici ce que raconta M. Jean, ne s’interrompant que pour prêter l’oreille au dehors.

Ce récit, d’ailleurs, M. Jean le fit d’un ton haletant, par phrases entrecoupées, qui lui permettaient de reprendre haleine, comme s’il eut été époumoné par une longue course.

« Chère Marthe, dit-il, cela devait arriver… et mieux vaut que je sois ici… caché dans cette hutte… que là-bas, sous les ordres du colonel von Grawert, et dans la compagnie même du lieutenant Frantz !… »

Et alors, en quelques mots, Marthe et ma sœur apprirent ce qui s’était passé avant notre départ de Belzingen, la provocation insultante du lieutenant, la rencontre convenue, le refus d’y donner suite après l’incorporation de Jean Keller dans le régiment de Leib…

« Oui, dit M. Jean, j’allais être sous les ordres de cet officier ! Il pourrait se venger à son aise, au lieu de me voir en face de lui, un sabre à la main. Ah ! cet homme qui vous avait insultée, Marthe, je l’aurais tué !…

— Jean… mon pauvre Jean !… murmurait la jeune fille.