Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Lauranay, Mlle Marthe, ma sœur et moi, nous fîmes une dernière tentative pour décider Mme Keller à nous suivre.

« Non, mes amis, n’insistez pas ! répondit-elle. Aujourd’hui même, je prendrai la route de Magdebourg. J’ai le pressentiment de quelque grand malheur, et je veux être là ! »

Nous comprîmes que tous nos efforts seraient vains, que c’était nous heurter à une détermination sur laquelle Mme Keller ne reviendrait pas. Nous n’avions plus qu’à nous dire adieu, après lui avoir indiqué les villes ou villages par lesquels la police nous imposait de passer.

Voici dans quelles conditions allait s’effectuer notre voyage.

M. de Lauranay possédait une vieille berline de poste, dont il ne se servait plus. Cette berline m’avait paru convenable pour ce parcours de cent cinquante lieues que nous avions à franchir. En temps ordinaire, il est facile de voyager avec les chevaux des relais établis sur les routes de la Confédération. Mais, par suite de la guerre, comme on réquisitionnait de toutes parts pour le service de l’armée, le transport des munitions et des vivres, il eût été imprudent de compter sur des relais régulièrement fournis.

Aussi, afin d’obvier à cet inconvénient, nous avions décidé de procéder autrement. Je fus chargé par M. de Lauranay de me procurer deux bons chevaux, sans regarder au prix. Comme je m’y connaissais, je me tirai heureusement de cette acquisition. Je trouvai deux bêtes un peu lourdes, peut-être, mais ayant beaucoup de fond. Puis, dans la pensée qu’il faudrait aussi se passer de postillons, je m’offris pour remplir cet office, ce qui fut naturellement accepté. Et ce n’est pas à un cavalier du Royal-Picardie qu’on en eût remontré pour conduire un attelage !

Le 15 août, à huit heures du matin, tout était prêt. Je n’avais plus qu’à monter sur le siège. En fait d’armes, nous possédions une paire de bons pistolets d’arçon, avec lesquels on pourrait tenir les maraudeurs en respect ; en fait de provisions, dans nos coffres, de quoi suffire aux premiers jours. Il avait été convenu que M. et Mlle de Lau-