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le chancellor.

Mais que l’on juge du violent désespoir qui s’empare de l’équipage, lorsque, vers minuit, Daoulas s’aperçoit que la charpente du radeau a disparu ! Les amarres, bien qu’elles fussent solides, ont été cassées par le déplacement vertical du navire, et le bâtis, depuis plus d’une heure sans doute, s’en est allé en dérive !

Dès que les matelots apprennent ce nouveau malheur, ils poussent des cris de détresse.

« À la mer ! à la mer, la mâture ! » répètent ces malheureux affolés.

Et ils veulent couper le gréement pour faire tomber les mâts d’hune et construire immédiatement un nouveau radeau.

Mais Robert Kurtis intervient :

« À votre poste, garçons ! crie-t-il. Que pas un fil ne soit coupé sans mon ordre ! Le Chancellor est en équilibre ! Le Chancellor ne roulera pas encore ! »

À la voix si ferme de son capitaine, l’équipage retrouve son sang-froid, et, malgré le mauvais vouloir de quelques-uns des matelots, chacun reprend la place qui lui est désignée.

Dès que le jour est venu, Robert Kurtis monte jusqu’aux barres, et son regard parcourt avec soin toute la mer sur un large rayon autour du navire. Inutile recherche ! Le radeau est maintenant hors de vue ! Faut-il armer la baleinière et entreprendre une recherche qui peut être longue et qui sera périlleuse ? C’est impossible, car la houle est trop forte pour qu’une fragile embarcation puisse la braver. La construction d’un nouveau radeau est donc à entreprendre, et on va s’y mettre immédiatement.

Depuis que les lames sont devenues plus fortes, Mrs. Kear s’est enfin décidée à quitter la place qu’elle occupait à l’arrière de la dunette, et elle a pu atteindre la grand’hune, sur laquelle elle s’est couchée dans un état de complète prostration. Mr. Kear, lui, est installé avec Silas Huntly dans la hune de misaine. Près de Mrs. Kear et de miss Herbey sont placés MM. Letourneur, fort à l’étroit, comme l’on pense, sur cette plate-forme, qui ne mesure que douze pieds à son plus grand diamètre. Mais des filières ont été établies d’un hauban à l’autre et leur permettent de tenir bon contre les coups de roulis. En outre, Robert Kurtis a eu soin de faire disposer au-dessus de la hune une voile qui abrite les deux femmes.

Quelques barils qui flottaient entre les mâts du navire après la submersion, et qu’on a recueillis à temps, ont été hissés sur les hunes et solidement amarrés aux étais. Ce sont des caisses de conserves et de biscuits, ainsi que des barriques d’eau douce, qui forment maintenant toute notre réserve.