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martin paz.

Martin Paz, ainsi insulté, se rapprocha de l’Espagnol, dont le sang-froid semblait être inaltérable, et, tirant un poignard qu’il tourna contre lui-même :

« Señor, dit-il d’une voix sourde, si vous répétez de semblables paroles, je me tue à vos pieds ! »

L’Espagnol, étonné, considéra plus attentivement l’Indien, et il sentit une sorte de sympathie lui monter au cœur. Il alla vers la fenêtre, la ferma doucement, et, revenant vers l’Indien, dont le poignard était tombé à terre :

« Qui êtes-vous ? lui demanda-t-il.

— L’Indien Martin Paz… Je suis poursuivi par les soldats, pour m’être défendu contre un métis qui m’attaquait et l’avoir jeté à terre d’un coup de poignard ! Ce métis est le fiancé d’une jeune fille que j’aime ! Maintenant, señor, vous pouvez me livrer à mes ennemis, si vous le jugez convenable !

— Monsieur, répondit simplement l’Espagnol, je pars demain pour les bains de Chorillos. S’il vous plaît de m’y accompagner, vous serez momentanément à l’abri de toutes poursuites, et vous n’aurez jamais à vous plaindre de l’hospitalité du marquis don Végal ! »

Martin Paz s’inclina froidement.

« Vous pouvez jusqu’à demain vous jeter sur ce lit de repos, reprit don Végal. Il n’est personne au monde qui puisse soupçonner votre retraite. »

L’Espagnol sortit de la chambre et laissa l’Indien ému d’une si généreuse confiance ; puis, Martin Paz, s’abandonnant à la protection du marquis, s’endormit paisiblement.

Le lendemain, au lever du soleil, le marquis donna les derniers ordres pour son départ et fit prier le juif Samuel de venir chez lui ; mais, auparavant, il se rendit à la première messe du matin.

C’était une pratique généralement observée par toute l’aristocratie péruvienne. Dès sa fondation, Lima avait été essentiellement catholique ; outre ses nombreuses églises, elle comptait encore vingt-deux couvents, dix-sept monastères et quatre maisons de retraite pour les femmes qui ne prononçaient pas de vœux. Chacun de ces établissements possédait une chapelle particulière, si bien qu’il existait à Lima plus de cent maisons affectées au culte, où huit cents prêtres séculiers ou réguliers, trois cents religieuses, frères lais et sœurs, accomplissaient les cérémonies de la religion.

Don Végal, en entrant à Sainte-Anne, remarqua d’abord une jeune fille agenouillée, tout en prières et en pleurs. Elle paraissait éprouver une douleur telle