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« Nic… Nic… s’écrie le docteur, regarde-moi !… Ne suis-je plus comme toi qu’un cadavre ?… »

En effet, le forestier et lui ont pris un aspect cadavérique, figure blafarde, yeux éteints, orbites vides, joues verdâtres au teint grivelé, cheveux ressemblant à ces mousses qui croissent, suivant la légende, sur le crâne des pendus…

Nic Deck est stupéfié de ce qu’il voit, comme de ce qu’il entend. Le docteur Patak, arrivé au dernier degré de l’effroi, a les muscles rétractés, le poil hérissé, la pupille dilatée, le corps pris d’une raideur tétanique. Comme dit le poète des Contemplations, il « respire de l’épouvante ! »

Une minute — une minute au plus — dura cet horrible phénomène. Puis, l’étrange lumière s’affaiblit graduellement, les mugissements s’éteignirent, et le plateau d’Orgall rentra dans le silence et l’obscurité.

Ni l’un ni l’autre ne cherchèrent plus à dormir, le docteur, accablé par la stupeur, le forestier, debout contre le banc de pierre, attendant le retour de l’aube.

À quoi songeait Nic Deck devant ces choses si évidemment surnaturelles à ses yeux ? N’y avait-il pas là de quoi ébranler sa résolution ? S’entêterait-il à poursuivre cette téméraire aventure ?

Certes, il avait dit qu’il pénétrerait dans le burg, qu’il explorerait le donjon… Mais n’était-ce pas assez que d’être venu jusqu’à son infranchissable enceinte, d’avoir encouru la colère des génies et provoqué ce trouble des éléments ? Lui reprocherait-on de n’avoir pas tenu sa promesse, s’il revenait au village, sans avoir poussé la folie jusqu’à s’aventurer à travers ce diabolique château ?

Tout à coup, le docteur se précipite sur lui, le saisit par la main, cherche à l’entraîner, répétant d’une voix sourde :

« Viens !… Viens !…

— Non ! » répond Nic Deck.

Et, à son tour, il retient le docteur Patak, qui retombe après ce dernier effort.