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face à face

Une seule fois, vers midi, pendant une demi-heure, Kâlagani fit faire halte. Les Dacoits étaient pourvus de vivres et mangèrent sur le bord d’un petit ruisseau.

Un peu de pain et de viande sèche fut mis à la disposition du colonel, qui ne refusa point d’y toucher. Il n’avait rien pris depuis la veille, et ne voulait pas donner à ses ennemis la joie de le voir faiblir physiquement à l’heure suprême.

À ce moment, près de seize milles avaient été franchis pendant cette marche forcée. Sur l’ordre de Kâlagani, on se remit en route, en suivant toujours la direction de Jubbulpore.

Ce ne fut que vers cinq heures du soir que la bande des Dacoits abandonna le grand chemin, pour se jeter sur la gauche. Si donc le colonel Munro avait pu conserver un semblant d’espoir, tant qu’il le suivait, il comprit alors qu’il n’était plus qu’entre les mains de Dieu.

Un quart d’heure après, Kâlagani et les siens traversaient un étroit défilé, qui formait l’extrême limite de la vallée de la Nerbudda, vers la partie la plus sauvage de Bundelkund.

L’endroit était situé à trois cent cinquante kilomètres environ du pâl de Tandit, dans l’est de ces monts Sautpourra, que l’on peut considérer comme le prolongement occidental des Vindhyas.

Là, sur un des derniers contreforts, s’élevait la vieille forteresse de Ripore, abandonnée depuis longtemps, parce qu’elle ne pouvait être ravitaillée, pour peu que les défilés de l’ouest fussent occupés par l’ennemi.

Cette forteresse dominait un des derniers saillants de la chaîne, une sorte de redan naturel, haut de cinq cents pieds, qui surplombait un large évasement de la gorge, au milieu des croupes avoisinantes. On ne pouvait y accéder que par un étroit sentier, tortueusement évidé dans le massif rocheux, sentier à peine praticable pour des piétons.

Là, sur ce plateau, se profilaient encore des courtines démantelées, quelques bastions en ruines. Au milieu de l’esplanade, fermée sur l’abîme par un parapet de pierre, se dressait un bâtiment, à demi détruit, qui servait autrefois de caserne à la petite garnison de Ripore, et dont on n’aurait pas voulu maintenant pour étable.

Sur le milieu du plateau central, un seul engin restait de tous ceux qui s’allongeaient autrefois à travers les embrasures du parapet. C’était un énorme canon, braqué vers la face antérieure de l’esplanade. Trop lourd pour être