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face à face

de buffles, en fût réduit à réclamer l’aide du Géant d’Acier. De là cette attaque des fauves, – attaque inattendue, il est vrai, — mais dont Kâlagani sut profiter. Au risque de provoquer un désastre, il n’hésita pas, sans qu’on s’en aperçût, à retirer les barres qui maintenaient la porte du kraal. Les tigres, les panthères, se précipitèrent dans l’enceinte, les buffles furent dispersés ou anéantis, plusieurs Indous succombèrent, mais le plan de Kâlagani avait réussi. Mathias Van Guitt allait être forcé d’avoir recours au colonel Munro pour reprendre avec sa ménagerie roulante le chemin de Bombay.

En effet, renouveler ses attelages, dans cette région presque déserte de l’Himalaya, eût été difficile. En tout cas, ce fut Kâlagani qui se chargea de cette affaire pour le compte du fournisseur. Il va de soi qu’il n’y réussit point, et c’est ainsi que Mathias Van Guitt, marchant à la remorque du Géant d’Acier, descendit avec tout son personnel jusqu’à la station d’Etawah.

Là, le chemin de fer devait emporter le matériel de la ménagerie. Les chikaris furent donc congédiés, et Kâlagani, qui n’était plus utile, allait partager leur sort. C’est alors qu’il se montra très embarrassé de ce qu’il deviendrait. Banks y fut pris. Il se dit que cet Indou, intelligent et dévoué, connaissant parfaitement toute cette partie de l’Inde, pourrait rendre de véritables services. Il lui offrit d’être leur guide jusqu’à Bombay, et, de ce jour, le sort de l’expédition fut dans les mains de Kâlagani.

Nul ne pouvait soupçonner un traître dans cet Indou, toujours prêt à payer de sa personne.

Un instant, Kâlagani faillit se trahir. Ce fut lorsque Banks lui parla de la mort de Nana Sahib. Il ne sut retenir un geste d’incrédulité, et secoua la tête en homme qui n’y pouvait croire. Mais n’en eût-il pas été ainsi de tout Indou, pour qui le légendaire nabab était un de ces êtres surnaturels que la mort ne peut atteindre !

Kâlagani, à ce sujet, eut-il la confirmation de cette nouvelle, lorsque, — ce ne fut point un hasard, — il rencontra un de ses anciens compagnons dans la caravane des Banjaris ? On l’ignore, mais il est à supposer qu’il sut exactement à quoi s’en tenir.

Quoi qu’il en soit, le traître n’abandonna pas ses odieux desseins, comme s’il eût voulu reprendre à son compte les projets du nabab.

C’est pourquoi Steam-House continua sa route à travers les défilés des Vindhyas, et, après les péripéties que l’on connaît, les voyageurs arrivèrent sur les bords du lac Puturia, auquel il fallut demander refuge.