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le lac puturia

— Cela est d’autant plus regrettable, en effet, messieurs, reprit notre chef, qu’à la vue de ces groupes d’éléphants qui nous assaillaient, et dont plus d’un est tombé sous vos balles meurtrières…

— Belle phrase, monsieur Parazard ! dit le capitaine Hod. Avec quelques leçons, vous arriveriez à vous exprimer avec autant d’élégance que notre ami Mathias Van Guitt. »

Monsieur Parazard s’inclina devant ce compliment, qu’il prit très au sérieux, et, après un soupir, il continua ainsi :

« Je dis donc, messieurs, qu’une occasion unique de me signaler dans mes fonctions m’était offerte. La chair d’éléphant, quoi qu’on ait pu penser, n’est pas bonne en toutes ses parties, dont quelques-unes sont incontestablement dures et coriaces ; mais il semble que l’Auteur de toutes choses ait voulu ménager, dans cette masse charnue, deux morceaux de premier choix, dignes d’être servis sur la table du vice-roi des Indes. J’ai nommé la langue de l’animal, qui est, extraordinairement savoureuse, lorsqu’elle est préparée d’après une recette dont l’application m’est exclusivement personnelle, et les pieds du pachyderme…

— Pachyderme ?… Très bien, quoique proboscidien soit plus élégant, dit le capitaine Hod, en approuvant du geste.

— … Pieds, reprit monsieur Parazard, avec lesquels on fait un des meilleurs potages connus dans cet art culinaire dont je suis le représentant à Steam-House.

— Vous nous mettez l’eau à la bouche, monsieur Parazard, répondit Banks. Malheureusement d’une part, heureusement de l’autre, les éléphants ne nous ont pas suivis sur le lac, et je crains bien qu’il nous faille renoncer, pour quelque temps du moins, au potage de pied et au ragoût de langue de ce savoureux mais redoutable animal.

— Il ne serait pas possible, reprit le chef, de retourner à terre pour se procurer ?…

— Cela n’est pas possible, monsieur Parazard. Si parfaites qu’eussent été vos préparations, nous ne pouvons courir ce risque.

— Eh bien, messieurs, reprit notre chef, veuillez recevoir l’expression de tous les regrets que me fait éprouver cette déplorable aventure.

— Vos regrets sont exprimés, monsieur Parazard, répondit le colonel Munro, et nous vous en donnons acte. Quant au dîner et au déjeuner, ne vous en préoccupez pas avant notre arrivée à Jubbulpore.