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la maison à vapeur.

exercice ! On les amène dans un palanquin, la tête encapuchonnée comme un gerfaut ou un émerillon ! En vérité, ce sont de véritables faucons à quatre pattes ! Dès que les chasseurs sont en vue d’un troupeau d’antilopes, la panthère est déchaperonnée et s’élance sur les timides ruminants, que leurs jambes, si agiles qu’elles soient, ne peuvent dérober à ses terribles griffes ! Oui, monsieur le capitaine, oui ! Vous trouverez des panthères dans le Tarryani ! Vous en trouverez plus que vous ne le voudrez peut-être, mais je vous préviens charitablement que celles-là ne sont pas apprivoisées !

— Je l’espère bien, répondit le capitaine Hod.

— Pas plus que les lions, d’ailleurs, ajouta le fournisseur, assez vexé de cette réponse.

— Ah ! les lions ! dit le capitaine Hod. Parlons un peu des lions, s’il vous plaît !

— Eh bien, monsieur, reprit Mathias Van Guitt, je regarde ces prétendus rois de l’animalité comme inférieurs à leurs congénères de l’antique Lybie. Ici les mâles ne portent pas cette crinière qui est l’apanage du lion africain et ce ne sont plus, à mon avis, que des Samsons regrettablement tondus ! Ils ont d’ailleurs, presque entièrement disparu de l’Inde centrale pour se réfugier dans le Kattyawar, le désert de Theil, et dans le Tarryani. Ces félins dégénérés, vivant maintenant en ermites, en solitaires, ne peuvent se retremper à la fréquentation de leurs semblables. Aussi, je ne les place pas au premier rang dans l’échelle des quadrupèdes. En vérité, messieurs, on peut échapper au lion : au tigre, jamais !

— Ah ! les tigres ! s’écria le capitaine Hod.

— Oui ! les tigres ! répéta Fox.

— Le tigre, répondit Mathias Van Guitt en s’animant, à lui la couronne ! On dit le tigre royal, non le lion royal, et c’est justice ! L’Inde lui appartient tout entière et se résume en lui ! N’a-t-il pas été le premier occupant du sol ? N’est-ce pas son droit de considérer comme envahisseur, non seulement les représentants de la race anglo-saxonne, mais aussi les fils de la race solaire ? N’est-ce pas lui qui est le véritable enfant de cette terre sainte de l’Argavarta ? Aussi voit-on ces admirables fauves répandus sur toute la surface de la péninsule, et n’ont-ils pas abandonné un seul des districts de leurs ancêtres, depuis le cap Comorin jusqu’à la barrière himalayenne ! »

Et le bras de Mathias Van Guitt, après avoir figuré un promontoire avancé du sud, remonta au nord pour dessiner toute une crête de montagnes.