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LA JANGADA

Cet immense barrage de Marajo est l’obstacle naturel qui a forcé l’Amazone à se dédoubler avant d’aller précipiter ses torrents d’eau à la mer. À suivre le bras supérieur, la jangada, après avoir dépassé les îles Caviana et Mexiana, aurait trouvé une embouchure large de cinquante lieues ; mais elle eût aussi rencontré la barre de « prororoca », ce terrible mascaret, qui, pendant les trois jours précédant la nouvelle ou la pleine lune, n’emploie que deux minutes, au lieu de six heures, à faire marner le fleuve de douze à quinze pieds au-dessus de son étiage.

C’est donc là un véritable raz de marée, redoutable entre tous. Très heureusement, le bras inférieur, connu sous le nom de canal des Brèves, qui est le bras naturel du Para, n’est pas soumis aux éventualités de ce terrible phénomène, mais bien à des marées d’une marche plus régulière. Le pilote Araujo le connaissait parfaitement. Il s’y engagea donc, au milieu de forêts magnifiques, longeant çà et là quelques îles couvertes de gros palmiers muritis, et le temps était si beau qu’on n’avait même pas à redouter ces coups de tempête qui balayent parfois tout ce canal des Brèves.

La jangada passa, quelques jours après, devant le village de ce nom, qui, bien que bâti sur des terrains inondés pendant plusieurs mois de l’année, est