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LA JANGADA.

de ces gigantesques essences. Les colibris et toutes leurs variétés, barbes-bleues, rubis-topaze, « tisauras » à longues queues en ciseau, étaient comme autant de fleurs détachées que le vent emportait d’une branche à l’autre. Des merles au plumage orangé, bordé d’un liséré brun, des becfigues dorés sur tranche, des « sabias » noirs comme des corbeaux, se réunissaient dans un assourdissant concert de sifflements. Le long bec du toucan déchiquetait les grappes d’or des « guiriris ». Les pique-arbres ou piverts du Brésil secouaient leur petite tête mouchetée de points pourpres. C’était l’enchantement des yeux.

Mais tout ce monde se taisait, se cachait, lorsque, dans la cime des arbres, grinçait la girouette rouillée de l’« alma de gato », l’âme du chat, sorte d’épervier fauve clair. S’il planait fièrement en déployant les longues plumes blanches de sa queue, il s’enfuyait lâchement, à son tour, au moment où apparaissait dans les zones supérieures le « gaviaô », grand aigle à tête de neige, l’effroi de toute la gent ailée des forêts.

Minha faisait admirer à Manoel ces merveilles naturelles qu’il n’eût pas retrouvées dans leur simplicité primitive au milieu des provinces plus civilisées de l’est. Manoel écoutait la jeune fille plus des