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LA CHASSE AU MÉTÉORE

nationales et le mettre dans l’impossibilité d’agir, ou laisser les choses suivre leur cours, M. Lecœur avait adopté la seconde.

Dans le premier cas, il pouvait raisonnablement compter sur la reconnaissance des gouvernements intéressés. Une part lui serait sans doute réservée du trésor sauvé grâce à son intervention. Mais quelle part ? Dérisoire probablement et rendue plus dérisoire encore par l’avilissement de l’or, qu’un tel afflux de ce métal devait logiquement provoquer.

Si, au contraire, il gardait le silence, outre qu’il supprimait toutes les calamités que cette malfaisante masse d’or portait en germe dans ses flancs et qu’elle allait, comme un torrent dévastateur, répandre sur la surface de la terre, il évitait les inconvénients qui lui étaient personnels et s’assurait, en revanche, de grands avantages. Seul pendant cinq jours à connaître un tel secret, il lui était facile d’en tirer parti. Pour cela, il lui suffisait d’expédier par l’Atlantic un nouveau télégramme, dans lequel, après déchiffrement, on lirait rue Drouot : « Événement sensationnel imminent. Achetez Mines quantité illimitée. »

Cet ordre serait facilement exécuté. La chute du bolide était certainement connue à cette heure et les actions de Mines d’or devaient être effondrées à presque rien. Sans aucun doute, on les offrait à des prix insignifiants sans trouver de contrepartie… Quel boum, par contre, quand on apprendrait la fin de l’aventure ! Avec quelle rapidité elles remonteraient alors à leurs cours primitifs, au grand profit de leur heureux acheteur.

Disons tout de suite que M. Lecœur avait eu le coup d’œil juste. La dépêche fut distribuée rue Drouot, et, à la bourse du même jour, on exécuta ponctuellement ses instructions. La banque Lecœur acheta au comptant et à terme toutes les mines d’or qui furent offertes, et le lendemain elle en fit autant.

Quelle moisson elle récolta en ces deux jours ! Mines de peu d’importance pour quelques centimes par titre, mines autrefois florissantes tombées à deux ou trois francs, mines de premier ordre avilies à dix ou douze, elle ramassa tout indistinctement.

Au bout de quarante-huit heures, le bruit de ces achats commença à circuler dans les diverses bourses du monde et y causa quelque émotion. La banque Lecœur, maison sérieuse bien connue pour son flair, ne devait pas agir à la légère, en se jetant ainsi sur une catégorie spéciale de valeurs. Il y avait quelque