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VASQUEZ.

La situation, on le voit, était des plus graves. Ni le courage, ni l’énergie de Vasquez ne parviendraient à l’améliorer, à moins qu’il ne pût se nourrir de racines déterrées dans le bois de hêtres, ou de poissons pêchés dans la baie. Mais, pour cela, il fallait que la Maule eût quitté définitivement l’Île des États. Si quelque circonstance l’obligeait à demeurer encore plusieurs jours au mouillage, Vasquez mourrait inévitablement de faim dans sa grotte du cap San Juan.

La journée s’avançait, le ciel devenait plus menaçant. Des masses de nuages, épais, livides, s’accumulaient dans l’est. La force du vent s’accroissait à mesure qu’il halait le large. Les rapides risées qui couraient à la surface de la mer se changèrent bientôt en longues lames dont la crête se couronnait d’écume, et qui ne tarderaient pas à déferler avec fracas contre les roches du cap.

Si ce temps continuait, la goélette ne pourrait assurément pas sortir à la marée du lendemain.

Or, avec le soir qui arrivait, il ne se produisit aucun changement dans l’état atmosphérique. Au contraire, la situation empira. Il ne s’agissait pas d’un orage dont la durée eût pu se limiter à quelques heures. Un coup de vent se préparait. On le voyait à la couleur du ciel et de la mer, aux nuages échevelés qui chassaient avec une croissante vitesse, au tumulte des lames contrariées par le courant, à leurs mugissements lorsqu’elles déferlaient sur les récifs. Un marin comme Vasquez ne pouvait s’y méprendre. Dans le logement du phare, la colonne barométrique était sûrement tombée au-dessous du degré de tempête.

Cependant, malgré le vent qui faisait rage, Vasquez n’était pas resté dans sa grotte. Il parcourait la grève, ses regards à l’horizon qui s’obscurcissait graduellement. Les derniers rayons du soleil, qui s’abaissait au couchant, ne s’éteignirent pas avant que Vasquez n’eût aperçu une masse noire qui se mouvait au large.