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LES TROIS GARDIENS.

semaine encore, je suppose ! Le temps est beau, la mer est calme, le vent souffle du bon côté… L’aviso a du largue dans ses voiles jour et nuit, et, en y ajoutant sa machine, je serais bien étonné s’il ne filait pas ses neuf à dix nœuds.

— À l’heure qu’il est, dit Felipe, il doit avoir dépassé le détroit de Magellan et doublé le cap des Vierges d’une quinzaine de milles.

— Sûr, mon garçon, déclara Vasquez. En ce moment, il longe la côte patagone, et il peut défier à la course les chevaux des Patagons… Dieu sait, pourtant, si, dans ce pays-là, hommes et bêtes détalent comme une frégate de premier rang, vent sous vergue ! »

On comprendra que ce souvenir du Santa-Fé fût encore présent à l’esprit de ces braves gens. N’était-ce pas comme un morceau de la terre natale qui venait de les quitter pour retourner là-bas. Par la pensée, ils le suivraient jusqu’à la fin du voyage.

« As-tu fait bonne pêche aujourd’hui ?… reprit Vasquez en s’adressant à Felipe.

— Assez bonne, Vasquez, j’ai pris à la ligne quelques douzaines de gobies, et, à la main, un tourteau pesant bien trois livres, qui se défilait entre les roches.

— Bien cela, répondit Vasquez, et ne crains pas de dépeupler la baie !… Les poissons, plus on en prend, plus il y en a, comme on dit, et cela nous permettra d’économiser nos provisions de viande sèche et de lard salé !… Quant aux légumes…

— Moi, annonça Moriz, je suis descendu jusqu’au bois de hêtres. J’y ai déterré quelques racines, et, comme je l’ai vu faire au maître-coq de l’aviso, qui s’y entend, je vous en accommoderai une fameuse platée !

— Elle sera la bienvenue, déclara Vasquez, car il ne faut pas abuser des conserves, même des meilleures !… Ça ne vaut jamais ce qui est fraîchement tué, ou fraîchement pêché, ou fraîchement cueilli !