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LE PHARE DU BOUT DU MONDE.

« Eh bien, garçons, dit-il après avoir consciencieusement bourré sa pipe — exemple qui fut suivi par les deux autres — cette nouvelle existence ?… commencez-vous à vous y faire ?

— Bien sûr, Vasquez, répondit Felipe. Ce n’est point en si peu de temps que l’on peut avoir grand ennui ni grande fatigue.

— En effet, ajouta Moriz, mais nos trois mois passeront plus vite que je ne l’aurais cru.

— Oui, mon garçon, ils fileront comme une corvette sous ses cacatois, ses perruches, ses ailes de pigeons et ses bonnettes !

— En fait de bâtiments, fit observer Felipe, nous n’en avons pas aperçu un seul aujourd’hui, pas même à l’horizon…

— Il en viendra, Felipe, il en viendra, répliqua Vasquez, en arrondissant sa main sur ses yeux comme pour s’en faire une longue-vue. Ce ne serait pas la peine d’avoir élevé ce beau phare sur l’Île des États, un phare qui envoie ses éclats jusqu’à dix milles au large, pour que pas un navire ne vînt en profiter.

— D’ailleurs, il est tout nouveau, notre phare, observa Moriz.

— Comme tu dis, garçon ! répliqua Vasquez, et il faut le temps aux capitaines pour apprendre que cette côte est éclairée maintenant. Quand ils le sauront, ils n’hésiteront pas à la ranger de plus près et à donner dans le détroit au grand avantage de leur navigation ! Mais ce n’est pas tout de savoir qu’il y a un phare, encore faut-il être sûr qu’il est toujours allumé, depuis le coucher du soleil jusqu’à son petit lever.

— Cela ne sera bien connu, fit remarquer Felipe, qu’après le retour du Santa-Fé à Buenos-Ayres.

— Juste, garçon, déclara Vasquez, et, lorsqu’on aura publié le rapport du commandant Lafayate, les autorités s’empresseront de le répandre dans tout le monde maritime. Mais déjà la plupart des navigateurs ne doivent pas ignorer ce qui s’est fait ici.

— Quant au Santa-Fé, qui n’est parti que depuis cinq jours, reprit Moriz, sa traversée durera…

— Ce qu’elle durera, interrompit Vasquez, pas plus d’une