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L’ÎLE DES ÉTATS.

bruyantes, les goélands criards, les labbes assourdissants.

Toutefois, il ne faudrait pas conclure de cette description que l’Île des États fût de nature à exciter les convoitises du Chili ou de la République Argentine. Ce n’est en somme qu’un énorme rocher, à peu près inhabitable. À qui appartenait-elle à l’époque où débute cette histoire ?… Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’elle faisait partie de l’archipel magellanique, alors indivis entre[1] les deux Républiques de l’extrême continent américain.

Pendant la belle saison, les Fuégiens ou Pécherais y font de rares apparitions, lorsque le gros temps les oblige à y relâcher. Quant aux navires de commerce, le plus grand nombre préfère donner dans le détroit de Magellan, tracé avec une extrême précision sur les cartes marines, et qu’ils peuvent suivre sans danger, qu’ils viennent de l’est ou de l’ouest, pour aller d’un océan à l’autre, grâce aux progrès de la navigation à vapeur. Seuls viennent prendre connaissance de l’Île des États, les bâtiments qui se préparent à doubler ou qui ont doublé le cap Horn.

Il convient de le remarquer, la République Argentine avait montré une heureuse initiative en construisant ce Phare du bout du Monde, et les nations doivent lui en savoir gré. En effet, aucun feu n’éclairait, à cette époque, ces parages de la Magellanie depuis l’entrée du détroit de Magellan au cap des Vierges, sur l’Atlantique, jusqu’à sa sortie au cap Pilar, sur le Pacifique. Le phare de l’Île des États allait rendre d’incontestables services à la navigation en ces mauvais parages. Il n’en existe même pas au cap Horn, et celui-ci pouvait éviter bien des catastrophes, en assurant aux navires venant du Pacifique plus de sécurité pour embouquer le détroit de Lemaire.

Le gouvernement argentin avait donc décidé la création de ce nouveau phare, au fond de la baie d’Elgor. Après un an de tra-

  1. Depuis, à la suite du partage de la Magellanie, en 1881, l’Île des États dépend de la République Argentine.