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MŒURS DU CAMP.

« Pouvez-vous parler maintenant ? » demanda-t-il machinalement, oubliant que Lî ne devait pas le comprendre.

L’autre, cependant, fit un signe affirmatif.

« Qui vous a pendu ainsi ?

— Moi, répondit le Chinois, sans avoir l’air de se douter qu’il eût fait là rien d’extraordinaire ou de répréhensible.

— Vous ?… C’est un suicide que vous avez tenté là, malheureux !… Et pourquoi ?

— Lî avait trop chaud !… Lî s’ennuyait !… » répondit le Chinois.

Et il referma aussitôt les yeux, comme pour échapper à de nouvelles questions.

Cyprien s’aperçut, à ce moment, de cette circonstance étrange que l’entretien s’était poursuivi en français.

« Vous parlez aussi l’anglais ? reprit-il.

— Oui, » répondit Lî, en soulevant ses cils.

On eût dit deux boutonnières obliques, ouvertes aux côtés de son petit nez camus.

Cyprien crut retrouver dans ce regard un peu de cette ironie qu’il y avait parfois surprise pendant le voyage du Cap à Kimberley.

« Vos raisons sont absurdes ! lui dit-il sévèrement. On ne se suicide pas parce qu’il fait trop chaud !… Parlez-moi sérieusement !… Il y a encore là-dessous, je gage, quelque mauvais tour de ce Pantalacci ? »

Le Chinois baissa la tête.

« Il voulait me couper ma natte, dit-il, en baissant la voix, et je suis sûr qu’il y aurait réussi, avant un ou deux jours ! »

Au même instant, Lî aperçut la fameuse natte dans la main de Cyprien et constata que le malheur qu’il redoutait par-dessus toutes choses, était consommé.

« Oh ! monsieur… Quoi !… Vous… vous m’avez coupé !… s’écria-t-il d’un ton déchirant.

— Il le fallait bien pour vous décrocher, mon ami ! répondit Cyprien. Mais, que diable ! vous n’en vaudrez pas un sou de moins dans ce pays-ci !… Rassurez-vous !… »

Le Chinois paraissait si désolé de cette amputation, que Cyprien, craignant de le voir chercher un nouveau procédé de suicide, se décida à retourner à sa case en l’emmenant avec lui.