Page:Verne - L’Étoile du sud, Hetzel, 1884.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
L’ÉTOILE DU SUD.


à pêche, dont il se sert, non seulement pour exciter, mais aussi pour diriger l’attelage.

La route passe par Beaufort, une jolie petite ville bâtie au pied des monts Nieuweveld, franchit cette chaîne, arrive à Victoria et conduit enfin à Hopetown, — la Ville-de-l’Espoir, — au bord du fleuve Orange, puis, de là, à Kimberley et aux principaux gisements diamantifères, qui n’en sont éloignés que de quelques milles.

C’est un voyage pénible et monotone de huit à neuf jours, à travers le Veld dénudé. Le paysage est presque toujours du caractère le plus attristant, — des plaines rouges, des pierres éparses comme un semis de moraines, des rochers gris affleurant le sol, une herbe jaune et rare, des buissons faméliques. Ni cultures ni beautés naturelles. De loin en loin, une ferme misérable, dont le détenteur, en obtenant du gouvernement colonial sa concession de terres, a reçu mandat de donner l’hospitalité aux voyageurs. Mais cette hospitalité est toujours des plus élémentaires. On ne trouve dans ces singulières auberges ni lits pour les hommes, ni litière pour les chevaux. À peine quelques boîtes de conserves alimentaires, qui ont fait plusieurs fois le tour du monde et qu’on paye au poids de l’or !

Il s’ensuit donc que, pour les besoins de leur nourriture, les attelages sont lâchés dans la plaine, où ils sont réduits à chercher des touffes d’herbe derrière les cailloux. Puis, quand il s’agit de repartir, c’est toute une affaire pour les rassembler, et une perte de temps considérable.

Et quels cahots que ceux de ce coche primitif, le long de ces chemins plus primitifs encore ! Les sièges sont simplement des dessus de coffres en bois, utilisés pour les menus bagages, et sur lesquels l’infortuné qu’ils portent pendant une interminable semaine fait office de marteau-pilon. Impossible de lire, de dormir ni même de causer ! En revanche, la plupart des voyageurs fument nuit et jour, comme des cheminées d’usine, boivent à perdre haleine et crachent à l’avenant.

Cyprien Méré se trouvait donc là avec un choix suffisamment représentatif de cette population flottante, qui accourt de tous les points du globe aux placers d’or ou de diamants, aussitôt qu’ils sont signalés. Il y avait un grand Napolitain déhanché, avec de longs cheveux noirs, une face parcheminée, des yeux peu rassurants, qui déclarait s’appeler Annibal Pantalacci, — un juif portugais nommé Nathan, expert en diamants, qui se tenait fort tranquille dans son coin et regardait l’humanité en philosophe, — un mineur du Lancashire,