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nouveau personnage.

ou trois matelots, qui ne lui épargnaient pas les bourrades. C’était un homme de trente-cinq à quarante ans, de physionomie intelligente, bien constitué, la figure glabre, mais un peu hâve par suite de ce séjour de soixante heures au fond d’une cale mal aérée. Le hasard seul l’avait fait découvrir dans son obscure retraite.

Le capitaine Turcotte fit aussitôt signe à ses hommes de lâcher le malheureux intrus.

« Qui es-tu ? lui demanda-t-il.

— Un fils du Soleil.

— Et comment te nommes-tu ?

— Seng-Vou, répondit le Chinois, dont le nom, en langue célestiale, signifie : qui ne vit pas.

— Et que fais-tu ici, à bord ?

— Je navigue !… répondit tranquillement Seng-Vou, mais en ne vous causant que le moins de tort possible.

— Vraiment ! le moins de tort !… Et tu t’es caché dans la cale au moment du départ ?

— Comme vous dites, capitaine.

— Afin de te faire reconduire gratis d’Amérique en Chine, de l’autre côté du Pacifique ?

— Si vous le voulez bien.

— Et si je ne le veux pas, mauricaud à peau jaune, si je te priais de vouloir bien regagner la Chine à la nage ?

— J’essayerais, répondit le Chinois en souriant, mais il est probable que je coulerais en route !

— Eh bien, maudit John[1], s’écria le capitaine Turcotte, je vais t’apprendre à vouloir économiser les frais de passage ! »

Et le capitaine Turcotte, beaucoup plus en colère que la circonstance ne le comportait, allait peut-être mettre sa menace à exécution, lorsque Godfrey intervint.

« Capitaine, dit-il, un Chinois de plus à bord du Dream, c’est un Chinois de moins en Californie, où il y en a tant !

— Où il y en a trop ! répondit le capitaine Turcotte.

— Trop, en effet, reprit Godfrey. Eh bien, puisque ce pauvre diable a

  1. Surnom que les Américains donnent aux Chinois.