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le rayon-vert

le gouffre de Corryvrekan ! » Il se retrouvait au fond de cet étroit abri, cette niche plutôt faite pour loger quelque froide statue de pierre, où deux êtres jeunes, aimants, avaient souffert, lutté l’un près de l’autre pendant de si longues heures. Là, ce n’était même plus Sinclair et miss Campbell. Ils s’étaient appelés Olivier, Helena, comme si, au moment où la mort les menaçait, ils avaient voulu se reprendre à une vie nouvelle !

Ainsi s’associaient les idées les plus ardentes dans le cerveau du jeune homme, alors qu’il errait sur le plateau de Staffa. Quel que fût son désir de retourner près de miss Campbell, une invincible force le retenait malgré lui, parce qu’en sa présence il aurait parlé peut-être, et qu’il voulait se taire.

Cependant, ainsi qu’il arrive quelquefois après un trouble atmosphérique brutalement amené, brutalement disparu, le temps était devenu admirable, le ciel d’une pureté parfaite. Le plus souvent, ces grands coups de balai des vents de sud-ouest ne laissent aucune trace après eux, et redonnent à l’outremer de l’espace une incomparable transparence. Le soleil avait dépassé son point de culmination, sans que l’horizon se fût voilé de la plus mince couche de brume.

Olivier Sinclair, la tête bouillonnante, allait ainsi à travers cette intense irradiation, reflétée par le plateau de l’île. Il se baignait au milieu de ces chaudes effluves, il aspirait cette brise marine, il se retrempait dans cette vivifiante atmosphère.

Soudain, une pensée — pensée bien oubliée au milieu de celles qui hantaient maintenant son esprit — lui revint, lorsqu’il se vit en face de l’horizon du large.

« Le Rayon-Vert ! s’écria-t-il. Mais si jamais ciel s’est prêté à notre observation, c’est bien celui-ci ! Pas un nuage, pas une vapeur ! Et il n’est guère probable qu’il en vienne, après l’effroyable bourrasque d’hier, qui a dû les rejeter au loin dans l’est. Et miss Campbell, qui ne se doute pas que le soir de ce jour lui ménage peut-être un splendide coucher de soleil !… Il faut… il faut la prévenir… sans retard !… »

Olivier Sinclair, heureux d’avoir ce motif si naturel pour retourner près d’Helena, revint vers la grotte de Clam-Shell.

Quelques instants après, il se retrouvait en présence de miss Campbell et des deux oncles, qui la regardaient affectueusement, tandis que dame Bess lui tenait la main.