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le rayon-vert

des mers les plus limpides, n’a jamais reproduit la nuance ! S’il y a du vert dans le Paradis, ce ne peut être que ce vert-là, qui est, sans doute, le vrai vert de l’Espérance ! »

Tel était l’article du Morning Post, le journal que miss Campbell tenait à la main lorsqu’elle entra dans le hall. Cette note l’avait tout simplement passionnée. Aussi fut-ce d’une voix enthousiaste qu’elle lut à ses oncles les quelques lignes précitées, qui chantaient sous une forme lyrique les beautés du Rayon-Vert.

Mais, ce que miss Campbell ne leur dit pas, c’est que précisément ce Rayon-Vert se rapportait à une vieille légende, dont le sens intime lui avait échappé jusqu’alors, légende inexpliquée entre tant d’autres, nées au pays des Highlands, et qui affirme ceci : c’est que ce rayon a pour vertu de faire que celui qui l’a vu ne peut plus se tromper dans les choses de sentiment ; c’est que son apparition détruit illusions et mensonges ; c’est que celui qui a été assez heureux pour l’apercevoir une fois, voit clair dans son cœur et dans celui des autres.

Que l’on pardonne à une jeune Écossaise des Hautes-Terres la poétique crédulité que venait de raviver en son imagination la lecture de cet article du Morning Post.

En entendant miss Campbell, le frère Sam et le frère Sib se regardèrent avec une sorte d’ahurissement, en ouvrant de grands yeux. Jusqu’ici, ils avaient vécu sans avoir vu le Rayon-Vert, et ils s’imaginaient qu’on pouvait vivre sans le voir jamais. Il paraît que ce n’était pas l’avis d’Helena, qui prétendait subordonner l’acte le plus important de sa vie à l’observation de ce phénomène, unique entre tous.

« Ah ! c’est là ce qu’on appelle le Rayon-Vert ? dit le frère Sam, en remuant doucement la tête.

— Oui, répondit miss Campbell.

— Celui que tu veux absolument voir ? dit le frère Sib.

— Que je verrai, avec votre permission, mes oncles, et le plus tôt possible, ne vous déplaise !

— Et ensuite, quand tu l’auras vu ?…

— Quand je l’aurai vu, nous pourrons parler de monsieur Aristobulus Ursiclos. »

Le frère Sam et le frère Sib, se regardant à la dérobée, sourirent d’un petit air entendu.