Page:Verne - L’École des Robinsons - Le Rayon vert.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
le rayon-vert

faut-il de plus à qui veut être assuré de la tranquillité domestique en ce bas monde ?

On l’a remarqué, sans doute, au moment où Partridge vint répondre à l’appel des frères Melvill, il avait dit en parlant de la jeune fille : miss Campbell.

C’est que si le brave Écossais l’eût nommée miss Helena, c’est-à-dire par son nom de baptême, il aurait commis une infraction aux règles qui marquent les degrés hiérarchiques, — infraction que désigne plus particulièrement le mot « snobisme ».

Jamais, en effet, la fille aînée ou la fille unique d’une famille de la gentry, même au berceau, ne porte le nom sous lequel elle a été baptisée. Si miss Campbell eût été fille de pair, on l’aurait appelée lady Helena ; or, cette branche des Campbell, à laquelle elle appartenait, n’était que collatérale et très éloignée de la branche directe du paladin sir Colin Campbell, dont l’origine remonte aux croisades. Depuis bien des siècles, les ramifications, sorties du tronc commun, s’étaient écartées de la ligne du glorieux ancêtre, auquel se rattachent les clans d’Argyle, de Breadalbane, de Lochnell et autres ; mais, de si loin que ce fût, Helena, par son père, sentait couler dans ses veines un peu du sang de cette illustre famille.

Cependant, pour n’être que miss Campbell, elle n’en était pas moins une vraie Écossaise, une de ces nobles filles de Thulé, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, dont le portrait gravé par Findon ou Edwards, et placé au milieu des Minna, des Brenda, des Amy Robsart, des Flora Mac Ivor, des Diana Vernon, des miss Wardour, des Catherine Glover, des Mary Avenel, n’eût pas déparé ces keepsakes, où les Anglais aiment à réunir les plus beaux types féminins de leur grand romancier.

En vérité, elle était charmante, miss Campbell. On admirait sa jolie figure aux yeux bleus, — le bleu des lacs d’Écosse, comme on dit, — sa taille moyenne, mais élégante, sa démarche un peu fière, sa physionomie le plus souvent rêveuse, à moins qu’une légère pointe d’ironie n’en vînt animer les traits, toute sa personne enfin empreinte de grâce et de distinction.

Et non seulement miss Campbell était belle, mais elle était bonne. Riche par ses oncles, elle ne cherchait pas à paraître opulente. Charitable, elle s’appliquait à justifier le vieux proverbe gaélique : « Puisse la main qui s’ouvre être toujours pleine ! »

Avant tout, attachée à sa province, à son clan, à sa famille, on la connais-