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le frère sam et le frère sib

sible de trouver une plus juste ressemblance, et, dût-on accuser l’auteur d’avoir emprunté leur type au chef-d’œuvre de Nicolas Nickleby, personne ne pourra regretter cet emprunt.

Sam et Sib Melvill, alliés par le mariage de leur sœur à une branche collatérale de l’ancienne famille des Campbell, ne s’étaient jamais quittés. La même éducation les avait faits semblables au moral. Ils avaient reçu ensemble la même instruction dans le même collège et dans la même classe. Comme ils émettaient généralement les mêmes idées sur toutes choses, en des termes identiques, l’un pouvait toujours achever la phrase de l’autre, avec les mêmes expressions soulignées des mêmes gestes. En somme, ces deux êtres n’en faisaient qu’un, bien qu’il y eût quelque différence dans leur constitution physique. En effet, Sam était un peu plus grand que Sib, Sib un peu plus gros que Sam ; mais ils auraient pu échanger leurs cheveux gris, sans altérer le caractère de leur honnête figure, où se retrouvait empreinte toute la noblesse des descendants du clan de Melvill.

Faut-il ajouter que, dans la coupe de leurs vêtements, simples et d’ancienne mode, dans le choix de leurs étoffes de bon drap anglais, ils apportaient un goût semblable, si ce n’est, — qui pourrait expliquer cette légère dissemblance ? — si ce n’est que Sam semblait préférer le bleu foncé, et Sib le marron sombre.

En vérité, qui n’eût voulu vivre dans l’intimité de ces dignes gentlemen ? Habitués à marcher du même pas dans la vie, ils s’arrêteraient, sans doute, à peu de distance l’un de l’autre, lorsque serait venue l’heure de la halte définitive. En tout cas, ces deux derniers piliers de la maison de Melvill étaient solides. Ils devaient soutenir longtemps encore le vieil édifice de leur race, qui datait du quatorzième siècle, — temps épique des Robert Bruce et des Wallace, héroïque période, pendant laquelle l’Écosse disputa aux Anglais ses droits à l’indépendance.

Mais si Sam et Sib Melvill n’avaient plus eu l’occasion de combattre pour le bien du pays, si leur vie, moins agitée, s’était passée dans le calme et l’aisance que crée la fortune, il ne faudrait pas leur en faire un reproche, ni croire qu’ils eussent dégénéré. Ils avaient, en faisant le bien, continué les généreuses traditions de leurs ancêtres.

Aussi, tous deux bien portants, n’ayant pas une seule irrégularité d’existence à se reprocher, étaient-ils destinés à vieillir, sans jamais devenir vieux, ni d’esprit ni de corps.