Page:Verne - L’École des Robinsons - Le Rayon vert.djvu/195

Cette page a été validée par deux contributeurs.
183
réflexion surprenante de carèfinotu

l’égorgement de ces animaux fût consommé, soit que la plupart se fussent échappés au dehors, où les attendait une mort non moins sûre. Ce serait là une perte irréparable pour la petite colonie ; mais Godfrey n’en était plus à se préoccuper de l’avenir. Le présent était assez inquiétant pour absorber toutes ses pensées.

Il n’y avait rien à faire, rien à tenter pour empêcher cette œuvre de destruction.

Il devait être onze heures du soir, lorsque les cris de rage cessèrent un instant.

Godfrey et Carèfinotu regardaient toujours : il leur semblait voir encore passer de grandes ombres dans l’enceinte, tandis qu’un nouveau bruit de pas arrivait à leur oreille.

Évidemment, certains fauves attardés, attirés par ces odeurs de sang qui imprégnaient l’air, flairaient des émanations particulières autour de Will-Tree. Ils allaient et venaient, ils tournaient autour de l’arbre en faisant entendre un sourd rauquement de colère. Quelques-unes de ces ombres bondissaient sur le sol, comme d’énormes chats. Le troupeau égorgé n’avait pas suffi à contenter leur rage.

Ni Godfrey ni ses compagnons ne bougeaient. En gardant une immobilité complète, peut-être pourraient-ils éviter une agression directe.

Un coup malencontreux révéla soudain leur présence et les exposa à de plus grands dangers.

Tartelett, en proie à une véritable hallucination, s’était levé. Il avait saisi un revolver, et, cette fois, avant que Godfrey et Carèfinotu eussent pu l’en empêcher, ne sachant plus ce qu’il faisait, croyant peut-être apercevoir un tigre se dresser devant lui, il avait tiré !… La balle venait de traverser la porte de Will-Tree.

« Malheureux ! » s’écria Godfrey, en se jetant sur Tartelett, à qui le noir arrachait son arme.

Il était trop tard. L’éveil donné, des rugissements plus violents éclatèrent au dehors. On entendit de formidables griffes racler l’écorce du séquoia. De terribles secousses ébranlèrent la porte, qui était trop faible pour résister à cet assaut.

« Défendons-nous ! » s’écria Godfrey.

Et son fusil à la main, sa cartouchière à la ceinture, il reprit son poste à l’une des fenêtres.