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la situation se complique de plus en plus.

Marchant l’un près de l’autre, se contentant de regarder, puisqu’ils ne pouvaient causer, ils étaient arrivés à un coude de la petite rivière, au-dessus de laquelle se penchaient de grands arbres, disposés comme un berceau naturel d’une rive à l’autre, lorsque, soudain, Godfrey s’arrêta.

Cette fois, c’était lui qui montrait à Carèfinotu un animal immobile, en arrêt au pied d’un arbre, et dont les deux yeux projetaient alors un éclat singulier.

« Un tigre ! » s’écria-t-il.

Il ne se trompait pas. C’était bien un tigre de grande taille, arcbouté sur ses pattes de derrière, écorchant de ses griffes le tronc de l’arbre, enfin prêt à s’élancer.

En un clin d’œil, Godfrey avait laissé tomber son sac de racines. Le fusil chargé passait dans sa main droite, il l’armait, il épaulait, il ajustait, il faisait feu.

« Hurrah ! hurrah ! » s’écria-t-il.

Cette fois, il n’y avait pas à en douter : le tigre, frappé par la balle, avait fait un bond en arrière. Mais peut-être n’était-il pas mortellement blessé, peut-être allait-il revenir en avant, rendu plus furieux encore par sa blessure !…

Godfrey avait son fusil braqué, et de son second coup menaçait toujours l’animal.

Mais avant que Godfrey n’eût pu le retenir, Carèfinotu s’était précipité vers l’endroit où avait disparu le tigre, son couteau de chasse à la main.

Godfrey lui cria de s’arrêter, de revenir !… Ce fut en vain. Le noir, décidé, même au péril de sa vie, à achever l’animal, qui n’était peut-être que blessé, ne l’entendit pas ou ne voulut pas l’entendre.

Godfrey se jeta donc sur ses traces…

Lorsqu’il arriva sur la berge, il vit Carèfinotu aux prises avec le tigre, le tenant à la gorge, se débattant dans une lutte effrayante, et, enfin, le frappant au cœur d’une main vigoureuse.

Le tigre roula alors jusque dans le rio, dont les eaux, grossies par les pluies précédentes, l’emportèrent avec la vitesse d’un torrent. Le cadavre de l’animal, qui n’avait flotté qu’un instant à sa surface, fut rapidement entraîné vers la mer.

Un ours ! un tigre ! Il n’était plus possible de douter que l’île ne recelât de redoutables fauves !