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l’école des robinsons

— Mais, jamais, Tartelett, jamais il n’aura l’occasion de se présenter dans un salon !

— Eh ! qu’en savez-vous, Godfrey ? ripostait le professeur en se redressant sur ses pointes. L’avenir n’est-il pas aux nouvelles couches ? »

C’était le mot de la fin de toutes les discussions de Tartelett. Et alors, le professeur prenant sa pochette, son archet en tirait de petits airs aigres, qui faisaient la joie de Carèfinotu. Il n’y avait plus à l’exciter ! — Sans se soucier des règles chorégraphiques, quels sauts, quelles contorsions, quelles gambades !

Et Tartelett, rêveur, voyant cet enfant de la Polynésie se démener de la sorte, se demandait si ces pas, peut-être un peu trop caractérisés, n’étaient point naturels à l’être humain, bien qu’ils fussent en dehors de tous les principes de l’art !

Mais nous laisserons le professeur de danse et de maintien à ses philosophiques méditations, pour revenir à des questions à la fois plus pratiques et plus opportunes.

Pendant ses dernières excursions dans la forêt ou la plaine, soit qu’il fût seul, soit qu’il fût accompagné de Carèfinotu, Godfrey n’avait aperçu aucun autre fauve. Il n’avait pas même retrouvé trace de ces animaux. Le rio, auquel ils seraient venus se désaltérer, ne portait aucune empreinte sur ses berges. Pas de hurlements, non plus, pendant la nuit, ni de rugissements suspects. En outre, les animaux domestiques continuaient à ne donner aucun signe d’inquiétude.

« Cela est singulier, se disait quelquefois Godfrey, et cependant je ne me suis pas trompé ! Carèfinotu, pas davantage ! C’est bien un ours qu’il m’a montré ! C’est bien sur un ours que j’ai tiré ! En admettant que je l’aie tué, cet ours était-il donc le dernier représentant de la famille des plantigrades qui fût sur l’île ? »

C’était absolument inexplicable ! D’ailleurs, si Godfrey avait tué cet ours, il aurait dû retrouver son corps à la place où il l’avait frappé. Or, c’est vainement qu’il l’y avait cherché ! Devait-il donc croire que l’animal, mortellement blessé, eût été mourir au loin dans quelque tanière ? C’était possible, après tout ; mais alors, à cette place, au pied de cet arbre, il y aurait eu des traces de sang, et il n’y en avait pas.

« Quoi qu’il en soit, pensait Godfrey, peu importe, et tenons-nous toujours sur nos gardes ! »