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où le fusil de tartelett fait merveille.

dirigeant vers le prisonnier, vinrent le délier et le forcèrent à marcher du côté du feu.

C’était un homme jeune encore, qui, sentant sa dernière heure venue, voulut résister. Décidé, s’il le pouvait, à vendre chèrement sa vie, il commença par repousser les naturels qui le tenaient ; mais il fut bientôt terrassé, et le chef, saisissant une sorte de hache de pierre, s’élança pour lui fracasser la tête.

Godfrey poussa un cri qui fut suivi d’une détonation. Une balle avait sifflé dans l’air, et il fallait qu’elle eût mortellement frappé le chef, car celui-ci tomba sur le sol.

Au bruit de la détonation, les sauvages, surpris comme s’ils n’avaient jamais entendu un coup de feu, s’arrêtèrent. À la vue de Godfrey, ceux qui tenaient le prisonnier le lâchèrent un instant.

Aussitôt, ce pauvre diable de se relever, de courir vers l’endroit où il apercevait ce libérateur inattendu.

En ce moment retentit une seconde détonation.

C’était Tartelett, qui, sans viser — il fermait si bien les yeux, l’excellent homme ! — venait de tirer, et la crosse de son fusil lui appliquait sur la joue droite la plus belle gifle qu’eût jamais reçue un professeur de danse et de maintien.

Mais, — ce que c’est que le hasard ! — un second sauvage tomba près du chef.

Ce fut une déroute alors. Peut-être les survivants pensèrent-ils qu’ils avaient affaire à une nombreuse troupe d’indigènes, auxquels ils ne pourraient résister ? Peut-être furent-ils tout simplement épouvantés à la vue de ces deux blancs, qui semblaient disposer d’une foudre de poche ! Et les voilà, ramassant les deux blessés, les emportant, se précipitant dans leur prao, faisant force de pagaies pour sortir de la petite crique, déployant leur voile, prenant le vent du large, filant vers le promontoire de Flag-Point, qu’ils ne tardèrent pas à doubler.

Godfrey n’eut pas la pensée de les poursuivre. À quoi bon en tuer davantage ? Il avait sauvé leur victime, il les avait mis en fuite, c’était là l’important. Tout cela s’était fait dans de telles conditions que, certainement, ces cannibales n’oseraient jamais revenir à l’île Phina. Tout était donc pour le mieux. Il n’y avait plus qu’à jouir d’une victoire, dont Tartelett n’hésitait pas à s’attribuer la grande part.