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seraient sensibles au charme de ce crin-crin, dont tout le talent d’un virtuose n’eût pas racheté l’aigreur.

Godfrey eut quelque peine à lui faire abandonner cette idée, aussi ridicule que peu pratique.

Il devait être alors six heures du matin. La cime des séquoias s’égayait des premiers rayons du soleil.

Godfrey entr’ouvrit la porte, il fit un pas au dehors, il observa le groupe d’arbres.

Solitude complète.

Les animaux étaient retournés dans la prairie. On les voyait brouter tranquillement, à un quart de mille. Rien chez eux ne dénotait la moindre inquiétude.

Godfrey fit signe à Tartelett de le rejoindre. Le professeur, tout à fait gauche sous son harnais de combat, le suivit, non sans montrer quelque hésitation.

Alors Godfrey referma la porte, après s’être assuré qu’elle se confondait absolument avec l’écorce du séquoia. Puis, ayant jeté au pied de l’arbre un paquet de broussailles, qui furent maintenues par quelques grosses pierres, il se dirigea vers le rio, dont il comptait descendre les rives, s’il le fallait, jusqu’à son embouchure.

Tartelett le suivait, non sans faire précéder chacun de ses pas d’un regard inquiet, porté circulairement jusqu’à la limite de l’horizon ; mais la crainte de rester seul fit qu’il ne se laissa point devancer.

Arrivé à la lisière du groupe d’arbres, Godfrey s’arrêta. Tirant alors sa lorgnette de son étui, il parcourut avec une extrême attention toute la partie du littoral qui se développait depuis le promontoire de Flag-Point jusqu’à l’angle nord-est de l’île.

Pas un être vivant ne s’y montrait ; pas une fumée de campement ne s’élevait dans l’air.

L’extrémité du cap était également déserte, mais on y retrouverait, sans doute, de nombreuses empreintes de pas fraîchement faites. Quant au mât, Godfrey ne s’était pas trompé. Si la hampe se dressait toujours sur la dernière roche du cap, elle était veuve de son pavillon. Évidemment les naturels, après être venus jusqu’à cet endroit, s’étaient emparés de l’étoffe rouge, qui devait exciter leur convoitise ; puis, ils avaient dû regagner leur embarcation à l’embouchure du rio.