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LA DEUXIÈME DENT DE L’ENGRENAGE.

nistes. Jack Lindsay était passé de l’arrière-garde à l’extrême avant-garde. Précédant même sa belle-sœur toujours escortée de Robert Morgand, il marchait maintenant près du guide canarien et semblait soutenir avec lui une conversation animée.

Cette circonstance ne laissait pas d’exciter la curiosité de Robert. Le guide connaissait donc l’anglais ? La conversation se prolongeant, la curiosité de Robert ne tarda pas à se mêler d’une vague inquiétude. Jack Lindsay, en effet, paraissait redouter les oreilles indiscrètes et se maintenait avec son interlocuteur cent mètres en avant du premier touriste.

Que pouvaient donc comploter ce passager qu’il avait de si fortes raisons de suspecter et cet indigène aux allures inquiétantes ? Voilà ce que Robert se demandait sans trouver de réponse satisfaisante.

Il fut sur le point de confier ses soupçons à sa compagne. Ainsi que Jack l’avait justement discerné, Robert ne s’était pas jusqu’ici décidé à mettre ses menaces à exécution. Mrs. Lindsay ne savait rien. Il avait hésité à troubler la jeune femme par de pareilles confidences, à s’avouer instruit d’une affaire aussi délicate, et confiant après tout dans l’efficacité de sa vigilance, il avait gardé le silence. Une fois de plus, il recula au moment d’entamer ce brûlant sujet, et se résolut simplement à veiller plus soigneusement encore.

En moins de trois heures, on parvint à Gualdar, résidence des anciens rois berbères sur la côte nord-ouest ; puis, ayant traversé au retour le petit bourg d’Agaëte, on arriva vers cinq heures à Artenara.

Situé sur la pente intérieure de la chaudière de Tejeda, à une altitude dépassant douze cents mètres, le village d’Artenara est le plus élevé de toute l’île. De ce point, la vue est splendide. Le cirque, sans un éboulement, sans une fissure, déroule devant l’œil étonné son pourtour elliptique de trente-cinq kilomètres, d’où, vers le centre, convergent des ruisseaux, des chaînons de collines boisées, à l’abri desquels se sont fondés des hameaux.